Shimpei Takeda fait de l’art à partir de poussière radioactive

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Shimpei Takeda fait de l’art à partir de poussière radioactive

Shimpei Takeda est né au Japon et a passé une grande partie de son enfance à Fukushima, à traîner dans l’ombre du réacteur qui, quelques années plus tard, sera à l’origine de l’un des pires désastres nucléaires de l’histoire récente.

Shimpei Takeda est né au Japon et a passé une grande partie de son enfance à Fukushima, à traîner dans l’ombre du réacteur qui, quelques années plus tard, sera à l’origine de l’un des pires désastres nucléaires de l’histoire récente. Shimpei vit aujourd’hui à Brooklyn mais son œuvre continue à entretenir des liens étroits avec sa terre natale. Il travaille actuellement sur un projet intitulé Trace: Cameraless Records of Radioactive Contamination, qui traite des conséquences malheureuses de l’incident de Fukushima Daiichi.

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Shimpei créé des images visuellement abstraites en récupérant des échantillons de terre contaminée autour de la centrale nucléaire, qu’il expose ensuite sur une couche de film durant plusieurs jours. Le résultat constitue donc un rapport, aussi bien sur les données physiques de la catastrophe qu’à propos des conséquences sur le sol radioactif. On a trouvé ce projet très intéressant, alors on a discuté avec Shimpei de ses travaux.

VICE : Comment l’idée de ce boulot vous est-elle venue ?
Shimpei Takeda : Lorsque j’ai appris ce qu’il était en train de se passer sur place, je n’ai pas compris. Ou peut-être que je n’avais pas envie de comprendre. J’avais beaucoup lu et appris sur ce que les gens faisaient là-bas ; l’industrie du nucléaire, l’irradiation, etc. Je m’étais aussi beaucoup intéressé aux politiques japonaises quant à l’industrie du nucléaire. J’ai commencé à me dire que je devais faire quelque chose, répondre à ce qui venait de se passer.

D’un autre côté, je voulais pouvoir visualiser cette catastrophe invisible d’une certaine manière. Toutes ces images de données sur les radiations dans l’air, le sol et l’océan, ne me semblaient pas réelles. J’avais besoin de voir des preuves solides et physiques du désastre. Ensuite, j’ai commencé à comprendre que les radiations, tout comme les rayons gamma et les spectres visibles, fonctionnaient à peu près de la même manière avec les matériaux photographiques. À la surface de matériaux photosensibles, l’halogénure d’argent s’assombrit lorsqu’il est exposé à une radiation électromagnétique.

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Le fait que je sois né dans la région de Fukushima est également important. Je pense qu’entreprendre un tel projet artistique tout en entretenant un lien étroit avec l’endroit constitue automatiquement un message politique – même si j’essaie de m’exprimer le moins possible là-dessus. À la fin du mois de mai 2011, j’ai décidé de me consacrer à temps plein sur le projet.

Justement, le fait de venir de Fukushima a dû affecter votre travail. Avez-vous encore de la famille là-bas ? De quelle manière ont-ils été touchés ?
Je ne savais rien de l’industrie du nucléaire avant le 11 mars et je ne pensais pas non plus qu’une catastrophe nucléaire se produirait au Japon.

J’ai grandi dans la banlieue de Tokyo et tous les étés, avec mes parents, j’allais voir mes grands-parents à Fukushima. On allait voir les lacs, skier à la montagne ou se baigner dans les sources chaudes. Il y avait beaucoup d’activités de ce genre à Fukushima. Quand la catastrophe s’est produite, j’ai reconnu beaucoup de noms de villes et d’endroits que je connaissais.

Une fois, j’écoutais une interview d’une victime qui avait été relogée temporairement à Fukushima – j’ai tout de suite reconnu le dialecte. C’était le même que celui de mes grands-parents. Ce genre de trucs peut vraiment vous toucher. Si c’était arrivé ailleurs, dans une région que je ne connaissais pas du tout, je ne suis pas sûr que j’aurais entrepris ce projet.

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Mes parents et ma sœur vivent toujours en banlieue de Tokyo. Mes deux parents viennent de Sukagawa, à 60 kilomètres à l’est de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. La ville se situe hors de la zone d’évacuation obligatoire. Mes grands-parents et de nombreux membres de ma famille lointaine vivent à Sukagawa et à Koriyama. L’air, le sol et l’eau ont tous été largement contaminés ; en conséquence, de nombreux cas de contamination de nourriture ont été recensés. Les gens angoissent beaucoup pour leur avenir et les commerces locaux sont très touchés.

Où et quand avez-vous collecté les échantillons de terre ?
En décembre 2011 et en janvier 2012, j’ai collecté 16 échantillons de terre dans 12 endroits différents. J’avais sélectionné des endroits bien distincts dans cinq préfectures différentes, des endroits ayant tous déjà un rapport particulier avec la mort : on y croise de nombreux temples, des sanctuaires, d’anciens sites de guerre, des ruines de châteaux et c’est également là où je suis né.

J’ai séparé chaque échantillon de sol dans des récipients séparés. Les substances radioactives dans le sol contaminé émettent assez de radioactivité pour être vus au microscope lorsqu’on dispose de la gélatine d’halogénure sur la surface d’un film photographique.

Comment les échantillons de terre se différencient-ils visuellement les uns des autres ?
Eh bien, d’un point de vue esthétique, ça n’a pas vraiment marqué les résultats, mais certaines textures de sol – la mousse, notamment – contiennent indubitablement plus de substances radioactives que d’autres. C’est quelque chose que j’ai remarqué dès le premier essai.

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Ce qui est sûr, c’est que plus la terre est contaminée, plus les matériaux photographiques sont exposés. Pour chaque lieu, j’avais mesuré le taux de radiation dans l’air et à la surface du sol.

Quelle influence l’esthétique a-t-elle sur le choix des travaux que vous souhaitez exposer ?
Sauf pour deux endroits, je n’ai collecté qu’un échantillon par lieu – je montre donc une seule image pour chaque lieu. Mon premier ensemble de photos comporte douze images de douze endroits. La moitié d’entre elles sont toutes quasiment noires, mais je crois qu’il y a quand même une trace de quelque chose d’invisible.

À vos yeux, comment ce projet a-t-il évolué, de son origine à aujourd’hui ?
Au niveau conceptuel, j’ai développé ce projet en un ou deux jours après son commencement. Je voulais créer une œuvre photographique abstraite et conceptuelle sur la documentation physique de cette catastrophe nucléaire – l’esthétique devait obligatoirement être minimale.

Lorsque j’étais en train de décider où j’allais prélever les échantillons, je me suis rendu compte que l’histoire de ces terres était déjà truffée de guerres et de catastrophes. J’ai donc ajouté cet élément, la mémoire des âmes de nos ancêtres, à travers la sélection des lieux de prélèvements.

À quel point la préfecture de Fukushima vous a-t-elle détesté quand elle a eu vent de votre projet ?

Je ne sais pas ; les habitants de Fukushima ont en revanche trouvé ce projet significatif. Ils m’ont beaucoup soutenu et ont tous été reconnaissants, ce qui m'a quelque peu surpris. Le fait que j’ai des racines là-bas m’a évidemment aidé.

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Pendant combien de temps comptez-vous travailler sur ce projet ?
Je travaille en ce moment sur la publication d’un livre. Je vais prélever d’autres échantillons pour continuer à travailler selon le même procédé. Il y a quelques autres projets sur lesquels j’aimerais également travailler. Je vais continuer à travailler sur ça encore un ou deux ans au moins. J’aimerais bien passer à un autre projet, mais je dois continuer à travailler sur celui-ci jusqu’à ce que j’aie le sentiment de l’avoir terminé.

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