FYI.

This story is over 5 years old.

Stuff

Ma vie pour un gros câlin d’Amma

Il est 4 heures de l’après-midi et je suis en banlieue parisienne, épuisée, en train d’attendre le RER avec des personnes chargées de coussins...

Amma fait un câlin à un inconnu le 19 juillet 2010 à Toronto (photo via)

Il est 4 heures de l’après-midi et je suis en banlieue parisienne, épuisée, en train d’attendre le RER avec des personnes chargées de coussins. La plupart portent des chèches, les femmes ont des foulards. Tous sont blancs. On ne sait pas s’ils sont contents de vivre ou s’ils subissent la montée simultanée d’un Lexomil et d’une tisane Nuit Tranquille. Je reviens d’un grand rassemblement d’êtres plus spirituels et plus tristes que moi, et même si j’ai envie de revenir à la réalité le plus vite possible, je me sens bien. J’ai fait un câlin à la femme que tous ces gens aiment d’un amour pur, moite : Amma.

Publicité

Amma – Mata Amritanandamayi de son vrai nom – est une représentante de l’hindouisme et une figure spirituelle dans le monde entier. Fondatrice de l’organisation non gouvernementale à but écologique et humanitaire Embracing the World, Amma (qui signifie « mère », en hindi) parcourt le globe depuis plus de vingt-cinq ans pour donner le darshan, une étreinte qui gratifie d’amour, de grâce et de lumière. On estime qu’elle aurait donné 25 millions de câlins depuis le début de sa carrière. C’est beaucoup. Elle était à Paris samedi 19 octobre, et je n’ai pas voulu rater l’occasion de faire la queue pour qu’une vieille indienne me prenne un court instant dans ses bras.

La pancarte de l’événement, à la sortie du RER

Environ 100 personnes patientaient déjà à 8 heures du matin devant l’entrée du parc des expositions de Pontoise. Je m’attendais à voir des grappes de hippies, des femmes célibataires de 50 ans « de retour d’Inde » et des représentants bénévoles de la marque Quechua ; je n’ai pas été déçue. Il y avait proportionnellement beaucoup de femmes blanches d’âge mûr et très peu de noirs ou d’arabes – encore moins d’hindous. Une odeur de dépression flottait dans l’air.

Plus ou moins préparés, certains arrivaient avec des coussins, des tapis, voire des valises ou des sacs remplis de fruits. Derrière moi, un couple d’amies discutaient, l’une plus nerveuse que l’autre : c’était la première fois qu’elle venait, et elle n’avait pas l’air convaincue de l’utilité de prendre le RER à 7 heures du matin pour aller poireauter dans le froid entre des entrepôts gris et des pavillons tristes.

Publicité

La queue à 8 heures du matin devant le parc des expositions de Pontoise

Enfin, les portes se sont ouvertes. On nous a accueillis petit à petit. Dans une certaine mesure, c’était comparable à une entrée en discothèque : on remarque immédiatement les petits nouveaux, de même qu’on reconnaît les habitués. Plusieurs bénévoles longeaient la queue pour demander si c’était la première fois que l’on venait voir Amma. Comme c’était mon cas, on m’a remis une brochure résumant ses œuvres caritatives et les missions de son ONG. Nous n’étions pas si nombreux à venir pour la première fois, si je me fie à ceux qui avaient cette brochure à la main.

À notre arrivée dans le hall, on nous a conseillé de retirer chaussures, manteaux et tout ce qui serait susceptible de nous encombrer pendant cette journée. Un numéro nous a été attribué pour mettre en place l’ordre de passage de la journée. J’ai reçu le numéro MZ, ce qui m’a laissée dubitative. Je me suis donc référée au panneau de classement, qui commençait par la lettre I suivie de chiffres, puis la lettre I suivie de lettres. Quelques personnes autour de moi possédaient également ce sésame « MZ », mais, tout comme moi, ignoraient la façon de décrypter le panneau. Nous avons décidé d’attendre sans poser la moindre question, nous rassurant mutuellement en nous disant que notre tour « viendrait bien ».

Plus de queue, à l'intérieur cette fois

Peu avant 10 heures du matin, quelques consignes simples nous ont été données par les organisateurs et les bénévoles : Amma insistait pour que personne ne se lève à son arrivée. « Il faut être assis pour ce moment sacré », nous ont-ils répété tellement de fois que les rares personnes encore debout ont prestement rejoint leurs places accroupies. Il était aussi conseillé de ne pas manger ni boire dans la salle où Amma recevait, différente du hall d’attente.

Publicité

Enfin, Amma a fait son apparition. Un grand frisson a parcouru la salle. Elle m’a fait bonne impression : petite, très souriante, tout de blanc vêtue, et l’air épuisé d’une femme qui passe sa vie à donner des trucs. Dans un silence quasi-religieux, elle s’est installée sur son fauteuil en bois pour commencer la journée par une séance de méditation, en compagnie de Bri Dipamrita, sa représentante officielle en France depuis plus de vingt-cinq ans. Cette séance avait pour but, nous a expliqué cette dernière, de saluer Amma et « d’évacuer toutes les pensées négatives en nous », de manière à ce que « nos cœurs soient ouverts ». La séance a duré une vingtaine de minutes, et elle m’a effectivement apaisée, mais c’est peut-être parce que je me suis endormie.

Le grand hall – les photos d'Amma étaient interdites, pour ne pas troubler la cérémonie

Même si je pense être suffisamment rationnelle, il est difficile de ne pas être touchée par toute cette spiritualité : lorsque des milliers de gens sont prêts à attendre des heures pour recevoir un message de paix, ce n’est pas vraiment comparable à une conférence entre nerds qui entendent créer un nouvel ordre mondial dans lequel ils seront les rois. Les motivations de ces gens sont réglo : amour, altruisme et le réconfort de ceux qui souffrent.

Aux alentours de 15 heures est enfin venu mon tour pour recevoir le darshan. Si j’avais eu largement le temps d’observer le cérémonial, mon cœur s’est mis à battre plus vite quand le fameux « MZ » s’est enfin affiché sur le panneau lumineux. Nous avons avancé deux par deux, assis sur une chaise, jusqu’à arriver sur la scène. C’est-à-dire que j’ai dû me lever et me rasseoir environ trente fois pour parcourir une cinquantaine de mètres, entourée de gens qui faisaient la même chose. J’étais tellement concentrée que je n’ai même pas songé à me marrer.

Publicité

Enfin, je suis arrivée tout près d’Amma. Lorsqu’on reçoit son étreinte, mieux vaut être à genoux ; on peut, si on le souhaite, être assis. L’important, c’est de poser les mains sur chaque côté du fauteuil en bois sur lequel est assise Amma. Elle était entourée de plusieurs personnes : certains étaient là pour nous donner un mouchoir afin de s’essuyer le visage avant le darshan ; on m’a plus tard expliqué que c’était pour éviter les taches de fond de teint ou de rouges à lèvres sur le blanc immaculé de la tenue d’Amma. Makes sense. D’autres étaient là pour nous relever une fois que l’étreinte est terminée.

Ainsi, des gens m’ont aidée à m’accroupir et m’ont placée comme il fallait. J’étais tellement crevée par les sept heures d’attente que je me suis laissé faire, comme une marionnette. Amma a pris ma tête pour la poser contre sa poitrine en récitant un des prières. J’ai fermé les yeux, puis Amma m’a relâchée. Avant qu’on me relève, elle a déposé quelque chose dans ma main – un bonbon dans un pétale de rose, ce qui m’a fait très plaisir puisque j’adore les trucs gratuits. Le tout a duré si peu de temps que je me suis étonnée de me retrouver dehors, me demandant si je n’avais pas rêvé ce moment.

Sans m’être sentie complètement transcendée par le darshan, je peux comprendre en quoi certaines personnes trouvent un sens à cette étreinte. En sortant, j’ai parlé avec un « habitué », un jeune homme androgyne d’environ 25 ans qui portait un grand sarouel mauve, des chaussures de marche et une sorte de turban sur sa tête. Cela faisait deux ans qu’il suivait Amma dans ses tournées françaises, pour lesquelles il se portait bénévole de temps en temps. Pour lui, recevoir le darshan était très important ; « Il est conseillé de ne recevoir le darshan qu’une fois par an, mais j’y vais aussi souvent que je le peux. » Il appréciait la spiritualité qui entourait les passages d’Amma.

Publicité

Je me suis renseignée, plus tard, sur cette fameuse restriction de fréquence : au début, j’avais compris que le pouvoir spirituel d’un câlin était si fort qu’il ne fallait pas en abuser, mais il s’agit plus de ne pas être égoïste et de laisser tout le monde en profiter – effectivement la séance du soir de ce troisième jour s’est prolongée jusqu’à 5 heures du matin. Aussi, Amma ne semble pas vouloir créer une forme d’église, avec des disciples qui la suivent partout (même si c’est un peu le cas), et ce à rebours du rapport de la MIVILUDES, au début des années 2000 : en effet, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires avait comparé le darshan d’Amma à une pratique illégale de la médecine, estimant qu’elle « prétend guérir la lèpre en touchant de sa langue les lésions du lépreux […] et guérir le cancer par imposition des mains et en prenant le malade dans ses bras ». Rapidement, le secrétaire général de la MILIVUDES a reconnu qu’ils avaient fait une erreur, et qu’il s’agissait d’un mouvement mystico-religieux, pas d’une dérive sectaire.

Sur le chemin du retour, arrivée à la gare de Pontoise, une dame m’a interpellée : « Vous, vous êtes allée voir Amma ! » J’ai répondu : « Oui, comment vous le savez ? – Je ne sais pas, ça se voit, ça se ressent », m’a-t-elle dit en continuant sa route pour se rendre au Parc des Expositions. En même temps, il y avait 1 chance sur 10 pour qu’elle se plante.

Publicité

Amma finira sa tournée française à Toulon, les 4, 5 et 6 novembre prochains.

Plus de spiritualité :

J’AI ATTENDU LE SWAMI DANS LE TEMPLE HINDOU DE LA CHAPELLE

LE DERNIER EXORCISTE – Satan n’est qu’une petite pute pleurnicharde selon Don Gabriel Amorth

LE DERNIER SAMOURAÏ TOULONAIS – Le seul super héros français s’appelle Jean-Noël Grougnet