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Les fascistes grecs homophobes ont dieu et la police de leur côté

La nuit était chaude à Athènes, et sans grande difficulté, les religieuses se sont frayé un chemin parmi les rangées de flics. Des flics dont la mission était d’empêcher les antifascistes de violenter les néonazis, nonnes et curés venus pour s’élever...

La nuit était chaude à Athènes, et sans grande difficulté, les religieuses se sont frayé un chemin parmi les rangées de flics. Des flics dont la mission était d’empêcher les antifascistes de violenter les néonazis, nonnes et curés venus pour s’élever contre la première de Corpus Christi, une pièce mettant en scène Jésus, version gay. Alors, quand une petite dame toute de noir vêtue s'est faufilée à travers les casques et les boucliers pour sermonner les anarchistes et les activistes au sujet de la sodomie et du blasphème, personne n'a essayé de l'arrêter.

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C’était la soirée d’ouverture de Corpus Christi, une pièce iconoclaste de Terrence McNally dépeignant Jésus et ses disciples comme des homosexuels du fin fond du Texas. La première représentation aurait dû se dérouler la veille, mais la soirée a été violemment interrompue par un gang de voyous du parti de l’Aube Dorée qui ont déclaré : « Si l’on s'attaque à la foi religieuse grecque, l’Aube Dorée réagira énergiquement. »

Par « énergiquement », ils voulaient dire : défoncer les spectateurs et les journalistes en les traitant de « pédés » et de « bouffeurs de culs ». La police – dont 50 % des membres, selon les sondages, sont de fidèles fervents du parti de l’Aube Dorée – ont laissé faire les choses. Finalement, les fascistes ont réussi à enfermer les acteurs dans le théâtre et la soirée a dû être reportée. Reportée mais pas annulée. La peur de se faire exploser le crâne devant des forces de l’ordre stoïques n'avait donc pas été suffisante pour empêcher cette pièce de se jouer.

Ce soir-là, 200 anarchistes et antifascistes sont venus protéger le théâtre des attaques de l’Aube Dorée. À cet instant précis, nous étions dans une impasse. Alors que les fascistes se trouvaient d’un côté, alliés à quelques vieux prêtres et nonnes secouant leur crucifix au nez de tout le monde, les antifascistes eux, se trouvaient de l’autre côté, derrière un mur solide de boucliers des forces de l’ordre.

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La nuit précédente, les flics avaient fermé les yeux devant les fascistes qui défonçaient les spectateurs de Corpus Christi. Cette fois, ils avaient barricadé les lieux. Ça devait plus ou moins être lié aux troupeaux de caméramans et de reporters venus de la Grèce entière pour voir ce qui se tramait. Lors de la première représentation, seules quelques caméramans étaient présents. Manolis V, un bloggeur pour Lifo magazine, prenait des photos de curés arrachant les posters promotionnels de Corpus Christi quand il s’est soudainement retrouvé encerclé par des néonazis.

« Je leur ai dit que j’écrivais pour Lifo, pensant que ça jouerait en ma faveur. En fait, ils ont commencé à hurler : “Ce pédé travaille pourLifo, venez voir ce putain de pédé.” Ils se sont mis à plusieurs sur moi, ont commencé à m’injurier, à tirer ma barbe, et l’un des membres de l’Aube Dorée m’a craché au visage. » Au téléphone, Manolis avait l’air secoué.

« J’ai fait mine de partir et ils continuaient de crier : “Cours pédé, cours ! Espèce de bouffeur de culs !” Quand j’ai regardé derrière moi, j’étais déjà cinquante mètres plus loin, mais un des membres de l’Aube Dorée m’a sauté dessus et m’a cogné droit au visage. “Pleure fillette”, il a dit. “Pleure sale pédé.” »

Le parti de l’Aube Dorée a fait sensation sur Youtube un peu plus tôt dans l'année quand Ilias Kasidiaris a agressé une députée de gauche en direct à la télévision. Cela n'a apparemment pas empêché les membres du parti de continuer à agresser des journalistes dans la rue.

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« Je suis tombé sur le bord du trottoir et il m’a donné des coups de pied. J’ai perdu mes lunettes et j’ai crié à l’aide, m’a raconté Manolis. Les officiers de police se sont retournés et ont fait semblant de ne rien voir. Quand je suis parti, l’un d’entre eux a mimé un bisou qu’il m’envoyait. »

Il était temps pour nous de pénétrer dans le théâtre. Pour ce faire, on a dû négocier avec trois rangées de flics antiémeutes et faire ouvrir des doubles portes cadenassées. On est arrivés dans une petite cour que surplombait une scène en plein air. C’était plutôt calme. Une poignée d’acteurs, de membres du staff et de journalistes déambulaient, fumaient des clopes et buvaient des verres de soda en jetant quelques regards obliques en direction de la foule au dehors.

Évidemment que la représentation d’une pièce comme Corpus Christi provoquerait une controverse. Lecteurs non grecs, ne vous réjouissez pas trop vite, ce phénomène bigot n’est pas uniquement propre aux néonazis helléniques : pratiquement toutes les représentations de Corpus Christi aux États-Unis (dont la tournée de 2010) ont attiré les foudres de tout un tas de gens et valu aux acteurs des injures à caractère homophobe au nom de la religion. La première représentation de la pièce à Los Angeles avait été plus qu’houleuse, manquant de provoquer une guerre civile. Cependant, comme me l’a expliqué le metteur en scène de Corpus Christi, Laertis Vasiliou, « c’était il y a 15 ans. Nous sommes en 2012, on ne pensait pas qu’il y aurait encore de quoi avoir peur ».

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Le metteur en scène de Corpus Christi, Laertis Vasiliou

« La nuit dernière devant le théâtre, c’était un peu la Nuit de Cristal sous le troisième Reich en Allemagne. » Laertis, 30 ans, semblait ne pas avoir dormi depuis plus d’une semaine, ce qui n’était d’ailleurs pas totalement faux – du moins, pas dans son lit. Le réalisateur avait peur au point de se cacher chez des amis, dans divers coins de la ville.

« Les gens qui sont venus assister à la pièce ticket en mains se sont fait frapper. Ils se sont fait frapper ! Ils se sont fait frapper et dégager par des voyous extrémistes. On ne pouvait pas ouvrir les portes du théâtre. On a répété en espérant que la pièce se joue le lendemain. » Laertis fumait clope sur clope, et tirait des lattes de 10 secondes au moins, comme un type essayant d’émerger d’un sale bad trip, tandis que les acteurs et larbins broyaient du noir dans la petite cour du théâtre.

« C’est triste, ce qui se déroule dans un pays qui a donné naissance au théâtre et à la démocratie, dans un tel pays, et dans une telle rue. Tu connais le nom de cette rue ? C’est la rue Iero Odos. Tu sais ce que ça veut dire ? » J’ai fait non de la tête. « Ça veut dire “rue Sacrée”, et tu sais pourquoi ? Parce qu’il y a 2 000 ans de ça, dans la Grèce antique, les gens venaient assister aux mystères, aux festivals de théâtre, et pendant 2 500 ans cette rue a porté le même nom. C’est la rue du théâtre. Et ils décident de détruire les théâtres.

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J’ai été menacé. Ma vie et celle de ma famille ont été menacées. Je reçois des messages sur mon portable et sur mon fixe. J’ai quitté l’Albanie pour la Grèce il y a maintenant vingt ans, et même si l’Albanie a été le régime totalitaire le plus détestable de tous les pays de l’Est, ils n’ont jamais détruit les théâtres. » À ce moment précis, Laertis s’est arrêté et a fondu en larmes.

« Il y a 20 ans, a-t-il insisté en essayant de contenir le tremblement de sa voix, je suis venu à Athènes parce que ma mère était grecque. La nuit dernière, ils ont crié mon nom et ont hurlé : “Toi putain d’Albanais, sors de ton trou qu’on t’enterre vivant ! On va te décapiter et te découper en petits morceaux, enfoiré d’Albanais !” J’ai été la fierté de ce pays en 2005 et 2008, en remportant deux prix internationaux de théâtre. En 2012, ils veulent me tuer. Pourquoi ? Qu’est ce que j’ai fait ? Vraiment, qu'est-ce que j'ai fait ? » L’une des raisons pour lesquelles le taux d’immigration illégale en Grèce est si fort, c’est que même pour un enfant d’immigrés né sur le sol grec, il est pratiquement impossible d’obtenir la nationalité. Apres avoir vécu vingt ans en Grèce, Laertis n’a toujours pas de papiers. Légalement parlant, il n’est personne.

« Ils ne comprennent pas que personne ne pourra m'ôter ma liberté d’expression. S’ils ne veulent plus de moi en Grèce, alors je prendrai ma famille et on partira. » Le visage de Laertis s'est crispé, il retenait ses larmes. « Tu sais, c’est vachement dur pour une personne d’entendre des gens crier ton nom et dire : “Ramène-toi, putain d’Albanais, on va te foutre un bâton dans le cul, le faire ressortir par ta bouche et te pendre en haut du théâtre, que tu crèves devant les yeux du monde !” Je me sens menacé, tu ne te sentirais pas menacé, toi ? »

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Devant le théâtre, les partisans de l’Aube Dorée continuaient à s’amasser. L’atmosphère était de plus en plus tendue. Un peu plus tard, certains d’entre eux ont tenté de s’attaquer aux militants antifascistes, mais contrairement à la veille, la police les a empêchés d’agir. Le plus intéressant dans cette histoire, c’est qu’aucun des deux camps n’avait ramené ses troupes d’élite. Les vrais crânes rasés aux tee-shirts noirs de l’Aube Dorée, qui brutalisaient et poignardaient les immigrés à Athènes et ses alentours depuis des mois, n'étaient pas de la partie.

Les partisans de l’Aube Dorée qui se sont pointés étaient des types plus vieux avec des moustaches chelou ou des adolescents – dont l’un m’a hurlé des injures en grec sur un ton très agressif avant de s’excuser en apprenant que j’étais une journaliste anglaise. Certains voyous d’extrême droite essaient à tout prix d’attirer l’attention des médias – je pense à l’English Defence League, par exemple – mais pas les types de l’Aube Dorée. Ils préfèrent faire couler le sang à l’abri des regards. Soudain, au beau milieu d’une zone protégée où pullulaient reporters et cameramen, un joli petit car touristique a fait son apparition, déambulant à travers le massacre, comme s’il venait chercher des gens pour aller à la plage. Il était complètement vide et on pouvait lire dessus « Athènes Tour ! »

La nonne fasciste était encore en train de gueuler comme un putois. C’était presque déconcertant de voir à quel point elle ressemblait à ma grand-mère qui malgré un tas de nobles qualités, était une religieuse fanatique aux tendances fascistes dont le passe-temps préféré était de secouer des images de Jésus au nez de quiconque défendait la cause gay. Bien sûr, ma chère Nanna n’avait pas d’armée de défonce-tout derrière elle, même si elle aurait probablement aimé en avoir une.

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La nonne disait aux antifascistes qui essayaient de raisonner les Grecs et les chrétiens qu'ils étaient des « victimes » alors que les membres de l’Aube Dorée eux, étaient de « vrais patriotes » sauveurs de la société grecque. Ce qui est un argument fort intéressant compte tenu du taux de chômage en Grèce qui dépasse les 25 % – 54 % chez les jeunes –, des grèves générales qui éclatent toutes les deux semaines environ, et du fait qu’il ne se passe pas un jour sans qu’une partie d’Athènes ne brûle. Sérieux. Une nuit, je n’ai pas pu emmener mon pote traducteur avec moi pour voir une banque brûler, mais ça nous était égal parce qu’on savait qu’une autre banque brûlerait le lendemain.

« Il n’y a plus de lois dans ce pays, a dit Manolis. Soit les gens ont peur de l’Aube Dorée, soit les gens sont de mèche avec l’Aube Dorée, et c’est impossible de savoir. »

On a eu cette conversation téléphonique devant un troupeau de manifestants qui se sont mis à nous lancer des regards extrêmement suspicieux. Il était temps de partir. Quand nous sommes arrivés à l’appartement, on a reçu un SMS nous informant que Corpus Christi s’était finalement jouée. La salle était pleine.

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