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Culture

William Burroughs dans son bunker new-yorkais

Le neveu d'Howard Brookner, intime de l'auteur culte de la Beat Generation, a réalisé un film retraçant le parcours des grands noms du New York des années 1970 et 80.

Howard Brookner et William Burroughs pendant le tournage de « Burroughs : The Movie ». Toutes les images sont publiées avec l'aimable autorisation d'Aaron Brookner.

Le réalisateur Howard Brookner vous est peut-être inconnu, mais, dans les années 1980, ses proches n'étaient autre que Jim Jarmusch, Tom DiCillo, Sara Driver et Spike Lee – un groupe qui allait devenir les parrains du cinéma indépendant américain. Leurs films, librement inspirés de la Nouvelle Vague française, retranscrivaient l'esprit très particulier qui régnait à l'époque dans les rues de New York.

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Brookner était probablement le plus doué de ce groupe. En 1983, il a réalisé un documentaire acclamé sur William Burroughs, dans lequel apparaissent Patti Smith, Allen Ginsberg et Francis Bacon. En 1987, Brookner a remis sa caméra à l'épaule pour tourner Robert Wilson and the Civil War , un documentaire sur l'artiste avant-gardiste Robert Wilson au moment où celui-ci désirait organiser un opéra homérique de douze heures pour les Jeux olympiques de 1984. Malheureusement pour Wilson, le projet a avorté au dernier moment. Par la suite, Brookner s'est tourné vers la fiction, et a même convaincu Madonna et Matt Dillon de jouer dans son film, Bloodhounds of Broadway .

Brookner a disparu avant d'avoir pu assister à la présentation du film à Cannes en 1989, victime de l'épidémie de sida qui frappait New York depuis le début de la décennie. En mourant, ses films sont morts avec lui. Le documentaire sur Burroughs n'a plus été distribué et le film sur Wilson a été oublié de tous.

Puis a débarqué Aaron Brookner, neveu du réalisateur. Il avait sept ans quand son oncle est mort, mais, ayant été invité sur le tournage de Bloodhounds, il savait déjà qu'il voulait suivre ses pas en devenant réalisateur. Dans Uncle Howard – film diffusé en avant-première à Sundance à la fin du mois de janvier – Aaron rend hommage à Howard en mettant en scène la recherche des négatifs perdus du film sur Burroughs, supposément enfouis au plus profond du « bunker ».

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Par bunker, il ne faut pas entendre un introuvable abri construit par les Allemands, mais l'ancien appartement de l'auteur du Festin nu dans la Bowery – une rue située au sud de Manhattan. La légende veut que le bunker soit gardé comme Fort Knox et que personne n'y soit entré depuis plusieurs décennies – du moins jusqu'à Aaron Brookner, qui y a trouvé une gigantesque collection d'archives laissées par Burroughs et son oncle.

C'est pour toutes ces raisons que je suis entré en contact avec le réalisateur, qui m'a parlé du temps qu'il a passé dans le bunker aux côtés de Jim Jarmusch. Il m'a aussi expliqué pourquoi le documentaire n'est pas seulement un hommage à sa famille, mais une ode à l'esprit créatif new-yorkais de jadis.

VICE : Quelle influence Burroughs et votre oncle ont-ils eu sur vous ?
Aaron Brookner : Burroughs était une figure mythique pour Howard, Jim [Jarmusch], Sara [Driver] et Tom [DiCillo]. C'est cette dernière génération qui a eu beaucoup d'influence sur la mienne. J'ai grandi en idolâtrant ces réalisateurs.

Qu'avez-vous ressenti en entrant dans le bunker ?
J'étais dépassé. L'intérieur n'a pas changé ; des épices posées sur une étagère datent de 1978. Il y a un pistolet dans la garde-robe de Burroughs, les bobines d'Howard ont été recouvertes par trente années de poussière. C'était très fort. Quand Jim Jarmusch est venu, il a ressenti la même chose.

L'atmosphère est folle – il n'y a pas de fenêtre, aucun bruit. C'est vraiment incroyable parce que la Bowery est tellement bruyante en général – les camions affluent en masse dans le quartier. Mais, une fois à l'intérieur du bunker, c'est le silence complet. C'est un endroit totalement hermétique.

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Les récits de Jarmusch, Driver et DiCillo vous ont-ils permis de mieux connaître votre oncle ?
Je vais vous répéter une histoire qui vient de la bouche de Jim. James Grauerholz [le biographe et exécuteur testamentaire de Burroughs] s'était rendu au Kansas et avait laissé Jarmusch et mon oncle s'occuper de Burroughs pour le week-end. Forcément, ils ont fini par boire des litres de vodka et prendre des drogues bizarres.

À un moment donné, Burroughs a sorti son flingue et a tiré sur une boîte en fer. Les balles se sont mises à ricocher et à rebondir sur les murs du bunker, sans blesser personne. Jim Jarmusch a fini par dire qu'il allait devoir partir – il n'avait simplement pas réalisé qu'ils avaient passé plus d'une journée ensemble et que le soleil venait de se lever. Cette histoire m'a marqué parce qu'elle en dit long sur la relation qu'ils entretenaient, et à quel point Burroughs vivait reclus.

Jim Jarmusch et Aaron Brookner au Bunker

Comment vous-êtes vous replongé dans le New York des années sida ?
Je tenais à montrer la réalité, la brutalité de la situation à l'époque, et à faire revivre aux spectateurs le drame qu'a vécu Howard. Son partenaire, Brad Gooch, m'a déclaré qu'à un moment donné, ils pensaient que le virus se propageait via les conduits d'aération des boîtes de nuit. Burroughs évoquait un virus potentiellement mortel, administré par le gouvernement et répandu délibérément au sein de la communauté gay. Il y avait tellement de rumeurs. L'hystérie et la désinformation battaient leur plein.

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Quand Howard est devenu majeur, il s'est épanoui artistiquement et socialement. C'étaient les années 1970, un moment de liberté incroyable. C'était la première génération où l'on ne cachait pas son homosexualité. La seconde vague de féminisme est arrivée à cette période ; différents arts se mélangeaient. En plus, le centre-ville de New York était délabré et ne coûtait presque rien. Howard avait un loft au croisement de Prince et Bowery qui lui coûtait 100 dollars par mois. Pour certains, c'était une vie utopique. Puis, soudainement, le virus a semé la terreur. Il a réuni autour de lui un tas de réactionnaires homophobes. Je voulais montrer au public quel impact le sida a eu sur le mouvement artistique de l'époque.

Voyez-vous ce film comme un moyen de faire redécouvrir les œuvres de votre oncle ?
Je voulais profiter de l'opportunité de remettre ses films à l'ordre du jour, afin que les gens puissent les regarder. Les films sur Burroughs et Wilson sont très peu connus. Bloodhounds a été tout autant oublié.

Plus important encore : je voulais ressusciter l'état d'esprit d'Howard – sa franchise, sa joie de vivre, la manière dont il a vécu et les risques qu'il a pris pour faire ce qu'il aimait.

Pour en savoir plus sur Uncle Howard, visitez le site web du film.

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