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LE NUMÉRO MODE 2013

Le shérif de Paris

Philippe Couvreur alias « Trusty Phil » est le créateur du Paris Western Show et consacre tellement de temps à se saper avec des vêtements introuvables et tirer sur des cibles avec des tromblons que sa femme et ses deux filles l’engueulent depuis vingt...

Photos : Hugo Denis-Queinec

La France se plie aux règles édictées par les Américains depuis que ceux-ci ont filé des capotes à tous le pays après leur débarquement de Normandie, il y a 69 ans. Prenez deux secondes et regardez-vous dans le miroir : vous portez un sweat à capuche, un tee-shirt et un jean ? Pas de bol, vous vivez sous l’infâme coupe des gens du Nouveau Monde, comme 99 % du reste de l’Occident. Certains Français l’ont tellement accepté qu’ils ont décidé de copier les Américains des années 1850, quand ceux-ci ressemblaient encore à des médecins luthériens doublés de paysans esclavagistes. C’est le cas des participants au Paris Western Show, dans lequel 2 500 hommes et femmes sapés comme dans Les Moissons du ciel se retrouvent chaque année quelque part à Versailles. Parmi eux, certains font plus de 1 000 km en caisse et traversent l’Europe pour assister à l’événement qui ne dure qu’une journée. Sur place, on retrouve des diligences assemblées selon les modèles d’époque, des maisons en bois, des peaux de bison et sans surprise, des flingues de toutes sortes : Colt originaux, carabines Winchester, Smith & Wesson et plein d’autres artefacts bruyants, à l’image de la vie rude du peuple, américain au XIXe siècle fantasmée par les Français. Philippe Couvreur alias « Trusty Phil » a 52 ans, et est à l’initiative de l’événement. Il consacre tellement de temps à se saper avec des vêtements introuvables et tirer sur des cibles avec des tromblons que sa femme et ses deux filles l’engueulent depuis vingt ans. Il a l’air de bien le prendre : « Il s’agit de rentrer dans la peau d’un personnage du XIXe siècle. Moi, je ne me prends pas pour un cow-boy ; je suis un cow-boy. » On l’a retrouvé au Centre de tir de Versailles, alors qu’il entretenait au chiffon le canon de ses deux Winchester. Il arborait une cape, des bottes noires, un chapeau de colon et une canne d’époque. Les autres tireurs étaient si jaloux de son style qu’ils n’ont pas arrêté de le maudire dans leur barbe ; pendant ce temps, Phil visait le mille. VICE : Depuis quand vous habillez-vous comme un personnage de western ?
Trusty Phil : J’ai toujours été passionné d’histoire et d’armes à feu. C’est au fur et à mesure de ma spécialisation, en gardant un intérêt commun pour tout ce qui était militaire, historique, technique, que j’ai découvert le cow-boy shooting aux États-Unis. Ça devait être au début des années 1990. En me rendant aux rassemblements western français, j’ai acheté de plus en plus de modèles. C’est ce que nous faisons avec les organisateurs du Paris Western Show : on s’habille en Américains d’il y a 150 ans et on tire sur des cibles à 100 mètres de nous. OK. Que signifie la tenue que vous portez aujourd’hui ?
C’est la tenue d’un shérif de 1850. Je la porte lors de chaque rassemblement. Au Paris Western Show, le but du jeu est de se trouver un personnage qui correspond à son surnom. Ça peut être celui d’un conducteur de locomotive, d’un cow-boy, d’une entraîneuse de saloon, d’une femme au foyer, d’un bandit. J’ai choisi le rôle du shérif : c’est celui qui me correspond le mieux.

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Phil en pleine démonstration, revolver d’époque en main.

Phil nous présente sa réplique de montre de gousset de la fin du XIXe siècle. La chaîne en argent, elle, est d’époque.

Où trouvez-vous ces fringues de shérif ?
La plupart viennent de magasins de vente par correspondance américains ou de ces deux boutiques françaises : le El Paso Booty et le Western Shop. Je porte uniquement des vêtements « Old Time », qui n’ont rien à voir avec les vêtements d’inspiration western d’aujourd’hui. Mes vêtements sont des copies fabriquées à partir de coupes et de matériaux historiquement corrects : laine et coton, et les boutons doivent être en bakélite ou en corne. Vous vous sapez souvent de cette façon ?
Pas assez, pour être franc. Je dirais que cela dépend du calendrier western en France – entre dix et quinze événements par an. Le reste du temps, j’ai un style assez conventionnel, quoique habillé : costume-cravate, pour le boulot. Si je m’habillais en shérif tous les jours de l’année, je deviendrais vite schizophrène ! Que pense votre femme lorsqu’elle vous voit sapé en shérif ?
Ça l’agace un peu, mais elle s’y intéresse. En fait, elle râle surtout lorsque j’achète des modèles chers. Mais d’un autre côté, les femmes s’achètent bien de nouvelles godasses tous les deux mois ! Eh bien moi, au lieu de m’acheter des chaussures, je m’achète un manteau en peau d’ours. Voilà ! Ça coûte combien, une peau d’ours ?
Environ 200 dollars, soit 180 euros si mes calculs sont bons. Vous dépensez beaucoup d’argent pour vous saper comme ça ?
C’est difficile à estimer. Déjà, il faut savoir que beaucoup d’acquisitions se font par le troc. Par exemple, j’ai obtenu ma diligence en l’échangeant contre trois Winchester de style Chuck Connors d’une valeur marchande de 6 000 euros. Mais je dirais que pour avoir une tenue correcte, il faut investir plusieurs centaines d’euros. Non, plus de mille en fait. Cela dit, je connais des gens qui gardent la même tenue tout le temps. C’est une question d’envie – et d’argent. Trusty Phil devant le Centre national de tir de Versailles, où se retrouvent les adeptes du « cow-boy shooting ». J’imagine que la perfection de votre tenue d’aujourd’hui est liée à une puissante passion pour l’Amérique.
Oui. Enfin, je suis plus passionné par l’histoire des États-Unis. Je ne pourrais pas en dire autant de la culture américaine contemporaine qui est plutôt une « sous-culture », selon moi. Et la manière dont ils se fringuent est également grotesque. Je préfère aller me perdre dans les campagnes de l’Ouest plutôt que de visiter les grandes villes – le Wyoming, le Nouveau-Mexique, l’Arizona, etc. Vous allez souvent aux États-Unis ?
Avant de me marier, je m’y rendais tous les deux mois à peu près. Aujourd’hui, beaucoup moins. J’adore Dodge City, dans le Kansas, et surtout Deadwood, dans le Dakota du Sud. Cette ville m’a beaucoup marqué : c’est là où s’est fait tuer Wild Bill Hickok [ndlr, figure de l’Ouest américain, et personnage principal de la série Deadwood] et le mobilier urbain y est toujours authentique. On dirait que rien n’a bougé depuis la fin du XIXe siècle, c’est passionnant. Vous êtes fier d’être français ou parfois, vous auriez aimé naître américain ?
Pour moi, les vrais Américains, ce sont les Indiens. Les Américains d’aujourd’hui sont tous d’origine anglaise, allemande, française, polonaise, irlandaise ou suédoise. Dans les années 1880, il y a eu une forte immigration française – basque et bretonne, précisément. Il existe même encore un quartier peuplé de descendants bretons à New York ! Donc pour répondre, je dirais non : eux comme nous sont européens, finalement.

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Les gants en peau de cerf jaunes de Phil surmontés de son étoile de shérif.

LES TRUCS QUE PORTE LE SHÉRIF :
Étoile : C’est le badge de l’association dont je fais partie, avec mon numéro d’adhérent. Niveau d’encadrement : arbitre premier niveau. Manteau en fourrure : Ça coûte 200 dollars. Année : 1880. C’est un vêtement standard en peau d’ours. Il était utilisé par toutes les catégories sociales, à l’époque. Sac : 150 euros. C’est un sac classique en cuir avec une serrure en laiton. Bottes : C’est le plus cher : 250 dollars. Là, c’est un modèle cathédrale. Elles sont hautes et rigides, à bout carré. On les voit dans Mort ou Vif avec Sharon Stone et Russell Crowe. J’ai été le premier à les porter en France. Veste : C’est une morning coat – pas de poche extérieure et coupe ronde. Vêtement de ville classique de la fin du XIXe siècle américain. Gants : Ça coûte à peine 15 euros, et c’est de la vraie peau de cerf. Pantalon : Pantalon haut avec bretelles. Chemise : Chemise avec col rapporté et lavallière rouge. Montre : C’est une réplique de montre de gousset, mais avec une chaîne en argent d’époque. Revolver : Là encore, une réplique du revolver Colt Navy à percussion de 1851, calibre .36 à poudre noire. On le charge par l’avant avec de la poudre et des balles, mais l’amorçage est séparé à l’arrière. C’était l’arme favorite de Wild Bill Hickok.