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Apparemment, fréquenter l'humanité donne le cancer

Bravo les humains : les conclusions d'une méta-étude parue le 21 mai dans Nature suggèrent que notre civilisation favorise le développement de tumeurs chez les animaux.
Image : National Cancer Institute

En 1999, quand le premier Matrix est sorti, la plupart d'entre nous étions encore trop jeunes pour identifier les embryons de nos futures névroses. Pourtant, nous sommes nombreux à avoir été marqués le monologue génial de l’agent Smith sur la nature de l’Homme. « Vous, les humains, vous êtes différents [du reste des mammifères terrestres]. Vous vous installez quelque part et vous vous multipliez (…) jusqu’à ce que toutes vos ressources naturelles soient épuisées. Et votre seul espoir de survivre est de vous déplacer jusqu’à un autre endroit. Il y a d’autres organismes sur cette planète qui ont adopté cette méthode ; vous savez lesquels ? Les virus. Les humains sont une maladie contagieuse, le cancer de cette planète. » Mic drop.

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L’agent Smith, avec sa dégaine de collecteur des impôts fâché avec l’existence, venait d'introduire les 90s kids à la misanthropie. Près de vingt ans plus tard, alors que les rapports alarmistes sur l'effondrement de la biodiversité se multiplient et qu’il semble de plus en plus clair que nous sommes en train d'entraîner toute la planète dans notre cycle autodestructeur, le monologue écrit par Lana et Lilly Wachowski résonne comme jamais. Aujourd'hui, au-delà de sa puissance symbolique, la tirade de l’agent Smith semble anticipateur : apparemment, l’être humain est bel et bien une maladie.

Le 21 mai dernier, une méta-étude publiée dans le journal Nature Ecology & Evolution, signée par cinq chercheurs dont le français Frédéric Thomas du Centre de recherches écologiques et évolutives sur le cancer (CREEC), a livré une conclusion aussi inédite qu’éclairée (du moins pour les plus misanthropes d’entre nous) : l’être humain, par son activité, serait une espèce oncogène pour les autres. En d'autres termes, Homo sapiens serait un cancer pour la biodiversité.

Réfléchissez-y un instant. Repensez à tous les titres pathétiques qui défilent sur vos flux de réseaux sociaux. En 40 ans, affirme la WWF, la Terre a perdu la moitié de ses animaux. L’être humain, qui représente 0,01% de la biodiversité, a déjà massacré 83% des mammifères sauvages. La moitié des arbres a disparu depuis que nous nous sommes imposés sur la planète. Le rythme d’extinction animale au cours du 20e siècle a été 100 fois plus élevé que la normale, à tel point que les biologistes s'accordent à dire que nous nous dirigeons vers une sixième extinction de masse dont notre espèce inconsciente sera directement responsable. Nous sommes devenus si hégémoniques que nos scientifiques ont décidé de baptiser cette ère géologique « anthropocène ». Si l’étude de Nature peut dérouter, au fond, elle ne fait qu’énoncer un truc dont tout individu doté d’un atome de conscience se doute déjà : notre espèce est profondément nocive.

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Pollution généralisée

Pour parvenir à leur conclusion — qu’ils placent néanmoins derrière un conditionnel —, les chercheurs ont d’abord constaté que le nombre de cancers humains était en constante augmentation dans le monde entier, peu importe l’indice de développement des pays, et que de nombreux chercheurs attribuent cette tendance à des facteurs environnementaux. Selon une étude mondiale parue dans Nature en 2015, le régime alimentaire, l’exposition au soleil, les UV, le tabac et l’alcool influencent 70 à 90% des cancers les plus répandus. Partant du constat que notre manière de démolir l’environnement contribue à démolir concomitamment notre santé, les chercheurs ont estimé qu’il était extrêmement probable que nos actions soient également cancérogènes pour le reste des mammifères. Et l’étude détaille même plusieurs mécanismes qui conduisent les humains à refiler des cancers aux autres animaux.

Premièrement, via la pollution généralisée des sols, de l’eau et de l’air : les différents contaminants recensés par les chercheurs (et pas seulement les pesticides) perturbent la croissance cellulaire, la sécrétion hormonale, l’équilibre du système immunitaire et jusqu’à la structure de l’ADN, ce qui favorise la formation de tumeurs. Ainsi des baleines beluga de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent au Canada, dont 27% présentent des cancers ; ainsi des pauvres oiseaux ayant installé leurs nids près de Tchernobyl, infectés à leur tour par les radiations mortelles. Et n’oublions pas les micro-plastiques rejetés dans la mer, dont l’impact est encore mal évalué ; les pesticides d’agriculture ; la nourriture humaine qui peut altérer le régime alimentaire et le microbiote intestinal des espèces sauvages « en changeant notamment la composition de la flore intestinale » détaille l’étude. Or, chez l’Homme, le déséquilibre du microbiote intestinal est un facteur de risque de cancer. Et on fait à peu près gaffe à ce qu’on ingère, nous.

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Un schéma représentant la relation entre activités humaines et la manière dont elles favorisent le développement de cancers. Image : Nature

Prochain arrêt : le fatalisme

Deux autres activités humaines sont pointées du doigt par les chercheurs. La première est la présence toujours plus importante de la lumière artificielle nocturne, qui remplit les critères d’un « perturbateur endocrinien environnemental pour la faune » en déréglant les rythmes des animaux et leur production de mélatonine, une hormone aux propriétés anti-tumorales. Pour couronner le tout, les chercheurs expliquent que l’activité humaine diminue la diversité génétique des espèces d’animaux, notamment en réduisant la population via la chasse, le braconnage ou la destruction des habitats naturels, ce qui contrecarre le processus évolutif naturel qui contribue normalement à éliminer les gènes les plus nocifs. C’est cette diminution de la diversité génétique qui explique, par exemple, la prévalence de cancer chez certains animaux de compagnie — ce qui a été notamment prouvé en novembre 2017 chez les furets, les léopards des neiges, certains renards et zèbres et quelques lions de mer.

Au terme de leur macabre énumération, les chercheurs concluent donc que « l’espèce humaine peut être considérée comme oncogène, capable de modeler l’environnement d’une manière à provoquer des cancers chez les animaux sauvages. Sachant que l’impact de l’homme sur la faune va certainement croître plutôt que décroître (…), il est crucial de reconnaître les possible liens entre activité humaine et cancer animal. »

Dans un communiqué, Mathieu Giraudeau, l’un des auteurs de l’étude, décrit les prochaines étapes de son travail : développer des bio-marqueurs pour « aller sur le terrain et mesurer les taux de cancer des populations sauvages » afin d’estimer plus précisément l’impact réel de notre civilisation. Et ensuite ? Si le lien était prouvé et quantifié, serait-ce suffisant pour influer sur les politiques globales alors que des piles et des piles de rapports sur le climat n’ont pas suffi à enrayer la logique destructrice du capitalisme mondialisé ? Probablement pas, et les chercheurs ne sont pas particulièrement optimistes quant à nos chances de nous racheter face à Mère Nature…

« Pour moi, la chose la plus triste est que nous savons déjà quoi faire. Nous ne devrions pas détruire les habitats sauvages, polluer l’environnement ou nourrir les animaux avec notre nourriture », écrit ainsi Tuul Sepp, un des co-auteurs de l’étude, dans le même communiqué. « Le fait que tout le monde sache quoi faire et que personne ne fasse rien rend la situation désespérante », conclut-il. Peut-être que l’être humain, sous sa forme actuelle, ne peut tout simplement pas faire autrement, et qu’il est inutile d’essayer de modifier le comportement de l’espèce. Après tout, personne n’a jamais essayé de convaincre un virus d’arrêter de nuire.