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Le Guide VICE de la France

Bougez-vous le cul : pourquoi il faut aller à Nuit Debout

Alors que tout part à vau-l'eau pour notre génération, comment se fait-il qu'on ne descende pas tout péter ?

Photo via Flickr.

Toutes les fois où je me suis rendu aux Nuits Debout jusqu'à présent, j'en suis reparti je dirais, déçu. J'étais juste . J'étais là donc, avec plein d'autres gens qui étaient eux aussi, juste . En somme, en l'état, la Nuit Debout ressemble plus à grand rassemblement de babos échoués dans une joyeuse ambiance de transgression socialement encadrée. Sauf que ce sont eux qui ont raison. Leur action est hyper juste et indispensable pour notre génération narcissique, merdeuse, décérébrée et fière de l'être.

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Hier matin s'est achevée la douzième Nuit Debout à la Place de la République, à Paris. Ce mouvement de manifestations quotidiennes de type anticapitaliste a commencé le 31 mars 2016 sur cette même place. La dégradation de la situation économique et sociale en France depuis quelques années en est essentiellement à l'origine. La manifestation contre la « loi Travail » – vu comme la fin de la protection sociale à la française – en a été la cause directe.

Ce mouvement s'inspire de ce que Mediapart appelle le vide de la politique actuelle et du vide spatial de la Place de la République, et tente humblement de le combler par une « convergence des luttes » à la fois morale et physique. Le groupe se veut autogéré, donc sans leader. Dans leurs assemblées générales se trouvent principalement des militants du Front de gauche et d'EELV, des syndicalistes, des militants associatifs et des étudiants. Quant aux manifestants, ils aspirent à la démocratie directe et horizontale, se battent contre la « loi Travail » de la ministre Myriam El Khomri, et contestent les institutions politiques et le système économique actuel.

En gros, toutes les conditions sont réunies pour faire péter dignement la nullité fantastique du gouvernement prétendument de gauche que l'on a tous participé à élire. Sauf que non, pour une raison qui m'échappe : ça merde.

Le mouvement Nuit Debout est une suite locale et française aux divers mouvements d'occupation de la même veine s'étant répandu un peu partout ces dernières années : celui de la Puerta del Sol à Madrid en 2011 via le Mouvement des Indignés, celui de la place Syntagma à Athènes par la Génération des 700 euros, ou encore les actions du mouvement Occupy, aux États-Unis. Aujourd'hui, le mouvement s'étend à d'autres villes en France, et s'exporte même en Belgique, en Espagne, en Allemagne et au Portugal.

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En théorie, la nature politique et sociale de la Nuit Debout est indispensable. En pratique, la ligne du mouvement n'est pas claire – et on peut se demander s'il s'agit vraiment d'un nouveau mouvement révolutionnaire ou d'une simple flash-mob sans impact concret sur la réalité. En effet, les centaines de personnes qui se rassemblent, chaque soir depuis le 32 mars , ne font, pour l'instant, pas bouger les choses. Lorsque Le Figaro, média de droite le plus consulté, a demandé à ses lecteurs s'ils pensaient que le mouvement Nuit Debout allait durer, 67 % d'entre eux estimaient que non, avec une joie que l'on devine immense. Et que dire du papier d'opinion rédigé par l'auteur du livre Ne t'aide pas et l'État t'aidera, humblement intitulé « Nuit Debout : le crépuscule des bobos » ?

Photo via Flickr.

Je suis revenu à la Nuit Debout mardi 12 avril au soir afin de tâter à nouveau le terrain. Je déambulais dans une foule – principalement blanche et de mon âge, type 20-30 ans – constituée de révolutionnaires passifs, de progressistes, d'humanistes sympathiques et autres cracheurs de feu en tous genres. En gros, les Nuit Deboutistes sont principalement des lycéens et des étudiants, même je pense secrètement que la majorité des jeunes vraiment dans la merde n'y participe pas. Car pour l'heure, en effet, c'est tout de même beaucoup trop sympa et pas très révolutionnaire.

Le mouvement du 32 mars, qui compte s'implanter comme une force politique hors des schémas institutionnels, n'est publiquement revendiqué par aucun parti politique actuel. Néanmoins, le mouvement reste incontestablement de gauche, essentiellement la « gauche de la gauche », comme disent les médias de droite.

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Schématiquement, l'espace est scindé en deux : on assiste à un open-mic politique d'un côté, et à ce que je nommerais un cirque de l'autre. Celui-ci est composé de slackliners, de théâtreux qui se produisent live, d'un cracheur de feu, de jongleurs, de circle drummers , et des zadistes urbains. Entre les deux, quelques jeunes qui pique-niquent à même le ciment forment une transition entre les deux espaces.

Au centre de la Place, les gens s'amusent et flânent comme s'ils étaient à la fête de l'Huma, et bouffent une saucisse grillée devant une pièce de théâtre mal jouée. Au micro, des types refont le monde. Le problème, c'est que leurs motivations demeurent hyper floues. Certains se battent pour le droit des femmes, certains luttent en faveur d'une démocratie sans partis politiques, et d'autres militent simplement pour qu'on ne se fasse pas la gueule dans le métro. Ce qui est OK néanmoins ; tous ces principes sont objectivement bons.

Mais c'est aussi ce qui constitue la limite du mouvement. Le délire « notre message n'est pas formulé mais le plus important, eh bien, c'est qu'on soit là » ne risque pas de faire tellement peur à Valls et Macron – s'il en reste là. Aujourd'hui, la Nuit Debout n'est que la révélation du problème politique ; un rassemblement de mecs relativement désespérés. Ce n'est encore qu'une simple transition vers un réveil du politique, dans le meilleur des cas.

En moins d'un mandat, François Hollande a réussi à se mettre à dos une à une toutes les composantes de ce que l'on appelait jusqu'à récemment le « peuple de gauche »

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Il s'agit pourtant d'un excellent espace de sociabilité. De ce que j'ai vu et entendu, la Loi El Khomri revenait sans arrêt dans les discussions. Mais plus généralement, c'est le ras-le-bol collectif envers le gouvernement « de gauche », le blocage de la société, la panne dans l'action, la machine démocratique vieillissante, la politique de Hollande pour le moins opaque, qui sont visés. Et ils ont raison. La politique du gouvernement persévère dans l'échec. Ce gouvernement est la matérialisation de la démocratie française actuelle ; et putain, comment ne pas être défiant contre cette démocratie ?

Le 9 septembre 2012, François Hollande se fixait l'objectif « d'inverser la courbe du chômage d'ici un an ». En 2014, le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi dépasse les 5 millions en France métropolitaine. Et le chômage a encore augmenté depuis début 2016. Sans surprise, et comme en Espagne, ce sont les jeunes qui sont les plus touchés. Plus d'un sur quatre n'a pas d'emploi aujourd'hui. Entre la crise de la précarité et du chômage, celle du logement (je rappelle que l'on est à Paris, où les loyers sont de loin les plus chers de France), la révolte des jeunes est normale. En fait, c'est la moindre des choses qu'ils manifestent un minimum leur mécontentement.

En moins d'un mandat, François Hollande a réussi à se mettre à dos une à une toutes les composantes de ce que l'on appelait jusqu'à récemment le « peuple de gauche » : une grande majorité des salariés, les fonctionnaires et les moins de 30 ans. Évidemment, l'attrait du Front National pour les jeunes et les classes pauvres dans les secteurs où l'on votait autrefois pour le Parti communiste, prouvent bien l'échec du gouvernement de Manuel Valls. Car il s'agit d'un échec difficilement contestable aujourd'hui.

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Photo via VICE News.

Quant aux « valeurs de la gauche », elles se sont fait dégager après le tournant social libéral du Président. D'abord ce fut la suppression de charges sociales de 30 milliards d'euros, la baisse des dépenses publiques de 50 milliards d'euros prévue d'ici 2017, et la défense de nos malheureux entrepreneurs. Et plus le temps passe, plus le gouvernement de Manuel Valls adopte – et réadapte habilement – des propositions clairement de droite. Ce fut le cas avec le superbe Pacte de responsabilité et ses 40 milliards donnés aux entreprises, par exemple. En choisissant de privilégier le soutien aux entreprises plutôt qu'aux classes moyennes, Hollande s'est encore une fois éloigné du socialisme à la française.

Mais surtout, les plus gros révélateurs de la divergence de la politique du gouvernement avec les valeurs de gauche restent les mesures prises après les attentats du 13 novembre. Outre les diverses mesures sécuritaires, le projet de loi autour de la déchéance de nationalité pour les terroristes potentiels a suscité de nouveaux remous. Il faut dire que cette mesure avait également été proposée par Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen au lendemain du 13 novembre.

La politique du gouvernement actuel est, en gros, un fiasco total. Et pourtant, devant un tel échec, notre génération refuse de se bouger le cul. Et laisse quelques mecs un peu plus courageux le faire à notre place. On a toujours voulu faire de la politique autrement, changer les codes, rénover le truc comme ont pu le faire autrefois les hippies de mai-68. Mais aujourd'hui, il n'y a plus personne. Plus que jamais, les jeunes de notre âge qui se revendiquent de gauche, semblent être des branleurs apolitiques qui pensent essentiellement à leurs projets personnels – réussite, épanouissement personnel, manque de thune, recherche de bon temps, etc. Moi le premier, en plus.

En 2006, le mouvement étudiant avait, rétrospectivement, gagné son pari. Rien de transcendant ne s'était produit certes, mais les conséquences furent positives. Le projet de Contrat première embauche avait été abrogé huit jours après sa validation. Aujourd'hui, le schéma est le même qu'il y a presque exactement dix ans face au CPE. Sauf qu'autour, tout est pire. De fait, comment se fait-il que nous ne soyons pas tous dans la rue en train de gueuler ? Il est temps que ce mouvement se concrétise.

Félix râle aussi sur son site Internet.