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Les mecs de Magnum

La polio et les beach parties ont fait de David Alan Harvey le photographe qu’il est aujourd’hui

Photographier la pauvreté sans relâche, de Rio à Norfolk.

Magnum est de loin l'agence de photo la plus connue au monde. Et même si vous n'en avez jamais entendu parler, vous connaissez forcément leur travail : les reportages de Robert Capa sur la guerre civile espagnole ou les escapades excessivement britanniques de Martin Parr. Contrairement au fonctionnement des agences classiques, les membres de Magnum sont sélectionnés par les autres photographes de l'agence aux termes d'un processus assez épuisant. Dans le cadre d'un partenariat en cours avec Magnum, nous allons vous présenter plusieurs de leurs photographes dans les semaines à venir.

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David Alan Harvey s'est découvert une passion pour la photographie très tôt. Il avait suffisamment de talent pour faire de cette passion son véritable métier. Il a reçu une première récompense pour le livre en noir et blanc Tell It Like It Is qu'il a publié lui-même et qui raconte la vie d'une famille pauvre de Norfolk, en Virginie, sur la côte Est des États-Unis. David a ensuite parcouru le monde pendant des années, réalisant des photos pour National Geographicet remportant, en 1978, le prix du photographe de magazine de l'année décerné par l'Association des photographes de presse. Il est devenu membre à plein temps de la famille Magnum en 1997.

Depuis, il continue de faire des photos dans le monde entier, et il offre aussi une tribune à d'autres photographes par le biais de son webzine, burn. Son nouveau livre (based on a true story) est une histoire visuellement envoûtante qui fonctionne comme une sorte de Rubik's Cube, où les photos peuvent s'agencer dans n'importe quel ordre. J'ai rencontré David pour parler de ses photos.

Extrait du livre Divided Soul

VICE : J'ai lu que vous aviez commencé très jeune à faire des photos.
David Alan Harvey : Oui. Le virus de la photo m'a contaminé quand j'étais enfant. J'avais 11 ou 12 ans quand les premiers symptômes se sont manifestés. C'était un coup de chance, pas uniquement pour la photo, mais pour ma vie en général. J'avais un truc qui captait toute mon énergie et ça m'a tenu éloigné des embrouilles. Enfin… pas complètement [rires].

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Qu'est-ce qui vous a attiré dans la photo ?
Enfant, j'ai eu la polio, et à l'âge de 6 ans je me suis retrouvé à l'hôpital, en isolement. J'étais dans une solitude absolue parce que la polio était une maladie qui faisait vraiment peur à l'époque. La seule chose qui me sortait de ce confinement, c'était les livres et les magazines pleins de photos que m'envoyaient ma mère et ma grand-mère. Ça me permettait de m'évader. Et puis, à un moment, j'ai reçu un appareil photo – comme tous les gamins, j'imagine – mais j'ai aussi eu une chambre noire et je me suis rendu compte que je pouvais faire ce que je voulais avec mon appareil.

Rio de Janeiro, extrait de (based on a true story)

Vous suiviez les travaux de certains photographes en particulier, à l'époque ?
Je m'intéressais aux travaux d'artistes européens. 99 % des photographes américains ne trouvaient aucune grâce à mes yeux, mais j'aimais beaucoup l'art européen – les impressionnistes français, les peintres italiens et néerlandais. Tous ces gens ont beaucoup influencé ma façon de regarder les choses.

J'aimais les gens capables de faire quelque chose à partir de rien : les peintres, les écrivains et les photographes. Je me suis penché sur la photo, et j'ai découvert que les photographes sportifs avaient besoin des Jeux Olympiques, les photographes de mode avaient besoin de mannequins, et les photographes de guerre avaient besoin des guerres. [Henri] Cartier-Bresson, Robert Frank, [Marc] Riboud et tous ces mecs, ils n'avaient besoin de rien. Ils se contentaient de jeter un coup d'œil par la fenêtre ou de sortir dans le jardin.

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En d'autres termes, les situations de la vie quotidienne sont devenues une mine d'or pour ces artistes, et j'ai été attiré par cette capacité à prendre quelque chose dans son environnement immédiat pour en faire une œuvre d'art ou pour faire passer un message. J'aimais l'intégrité derrière le métier de journaliste, mais j'étais captivé par les photographies. Elles n'avaient pas besoin de poser un concept, elles pouvaient simplement être.

Comment avez-vous trouvé le sujet de Tell It Like It Is ?
Quand j'étais au lycée, j'ai décroché un boulot de photographe de plage. On était six ou sept à prendre des petites photos des gens, et c'était un excellent moyen de bronzer et de rencontrer des filles. J'ai quand même ressenti une certaine culpabilité parce que j'avais passé la moitié de l'été à mener cette vie hédoniste, et j'avais le sentiment d'utiliser mon appareil à de mauvaises fins. Du coup, j'ai sauté dans ma caisse et j'ai roulé jusqu'à Norfolk, en Virginie. Il n'y avait que 25 km de route, mais culturellement parlant, on était aux antipodes. Je suis allé dans le ghetto, et je me suis dit : Il faut que j'aide ces gens.

Je voulais montrer à quoi ressemblait cet endroit, parce que les Blancs qui vivaient dans mon quartier, à Virginia Beach, n'avaient pas la moindre idée de ce à quoi ça ressemblait, ici. J'ai rapidement rencontré une famille et j'ai passé du temps avec eux. Je dormais dans leur canapé et j'allais à l'école avec leurs enfants. Aucun gamin blanc ne faisait ça. Je ne savais pas comment exprimer quoi que ce soit avec mes photos, mais j'ai pu sortir ce petit livre et on l'a vendu, 2 dollars pièce. On a ensuite donné l'argent à l'église locale pour qu'elle achète de la nourriture et des habits aux gens du quartier. On s'est débarrassés de tous les exemplaires qui nous restaient quand je suis parti à la fac, et il n'y en a plus que 4. Je ne savais pas qu'un jour, ça aurait son importance.

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Des pages de Tell It Like It Is

Vous êtes rentré chez Magnum à temps partiel en 1993, c'est juste ?
Oui. J'étais assez vieux quand j'ai rejoint Magnum. On avait eu un premier contact quand j'avais la trentaine ; j'avais reçu le prix de Photographe de magazine de l'année et ils m'avaient un peu dragué. J'étais marié et j'avais deux enfants, et comme beaucoup de femmes, mon épouse, bien plus que moi, avait les pieds sur terre et elle m'avait dit de ne pas accorder trop d'importance à Magnum. Je travaillais régulièrement pour National Geographic et à l'époque, c'était le seul magazine photo à vous envoyer ici ou là pendant plusieurs semaines. Elle m'a convaincu qu'il valait mieux rester chez National Geographic. Elle considérait que Magnum ne pourrait pas nous permettre de survivre, j'ai suivi son avis.

Et puis, le temps passait mais ça me trottait toujours dans la tête. J'avais l'impression de ne pas exprimer tout mon potentiel en travaillant pour National Geographic. Je ne les dénigre pas, parce qu'ils font un très bon boulot dans leur créneau, mais je voulais voir autre chose. J'avais un emploi chez National Geographic mais j'ai fait ma crise de la quarantaine, j'ai divorcé et j'ai lâché mon poste chez eux – tout ça en même temps.

Et ça vous a été bénéfique ?
Ouais, j'ai repris la route et j'avais une énergie incroyable. Je suis descendu au Chili et je me suis mis au travail. Après ça, je suis parti pour Oaxaca, au Mexique, et j'ai commencé à mettre en forme tout le matériel qui allait donner le livre Divided Soul. En gros, il a dû se passer cinq ans entre mon départ de National Geographic et ma nomination à temps partiel chez Magnum, en 1993.

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Je suis allé au Vietnam, à Cuba, chez des ennemis de l'Amérique, en Libye, en fait, je suis allé partout où on n'avait pas d'ambassade. Magnum était vraiment, vraiment génial parce que ça me donnait un fort sentiment d'indépendance, et j'avais l'impression que ce que je faisais était valorisé.

Rio de Janeiro, extrait de (based on a true story)

Votre assistant m'a envoyé un exemplaire de (based on a true story) et j'ai beaucoup aimé. On dirait que beaucoup de vos travaux portent sur la culture hispanique.
Ouais, disons que la culture hispanique est une partie de l'ensemble. C'est la migration de l'Ibérie vers les Amériques, et ça comprend l'Afrique de l'Ouest. Donc on travaille avec quatre cultures : l'espagnole, la portugaise, l'ouest-africaine et celle des indigènes qui peuplaient les Amériques. Ça a été une aventure sur 25 ans qui m'a conduit aux quatre coins des Amériques puis dans toute la péninsule ibérique et en Afrique de l'Ouest.

On a mis beaucoup d'énergie dans ce bouquin, ça n'a pas été simple. J'ai toujours voulu faire des objets d'art et des œuvres artisanales. Si je n'avais pas été photographe, j'aurais probablement été potier ou quelque chose comme ça. J'aimais beaucoup le côté physique de tout ça, l'objet. Aujourd'hui, je pense que signer ce bouquin, ça valait le coup – enfin, ça ne vaut pas grand-chose si tu le vends au marché du coin. J'en ai vendu un pour 1 200 dollars il y a quelques jours. Ça fait cher.

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Je suis curieux, qu'est-ce qu'on ressent ?
C'est vraiment agréable, parce que je ne suis pas du tout un entrepreneur. Ça fait plaisir de fabriquer quelque chose par ses propres moyens. Je n'avais pas un gros magazine derrière moi, et on n'a pas lésiné sur les dépenses, ce que la majorité des éditeurs sont souvent contraints de faire. Je me moquais de l'argent parce que les bénéfices que j'ai faits sur ce livre m'ont permis d'offrir l'autre gratuitement. En même temps, on a imprimé une autre version du livre sur le même papier, mais sans certains trucs superflus, et celui-là était distribué gratuitement. Je viens de rentrer de Rio où on a distribué 2 500 copies gratuitement, là où on a fait les photos, dans les favelas de Rio.

C'est vraiment fun. Ça a installé toute une façon de penser les projets que j'ai envie de faire à l'avenir et ça m'a donné un vrai sentiment d'indépendance – sans aucun soutien financier, rien que l'état d'esprit. Tu vois ce que je veux dire ?

Extrait du livre Divided Soul

Et vous pouvez me parler de votre rôle de mentor ?
C'est important de travailler avec d'autres gens. Je me mets des coups de pieds au cul, je m'occupe de David Alan Harvey, mais je passe beaucoup de temps à travailler avec d'autres photographes. Je passe beaucoup de temps à jouer les mentors et j'ai toujours des ateliers en cours chez moi.

Honnêtement, c'est très louable que vous – un photographe expérimenté qui pourrait se reposer sur ses lauriers – ayez choisi de jouer le critique, l'éditeur et le mentor.
Je suis pas mal occupé, mais c'est plaisant. En fait, j'ai toujours prodigué des conseils. J'ai commencé à enseigner la photo quand j'étais à la fac, à 22 ans, et je n'ai jamais arrêté. J'ai toujours considéré que j'étais chanceux ou béni, parce que les choses se sont toujours bien goupillées pour moi. J'ai travaillé dur pour ça, et je le mérite, mais même quand on mérite quelque chose, il faut quand même de la chance pour ne pas se faire renverser par un bus ou un truc du genre. Je me suis toujours considéré chanceux, et du coup, je me suis dit qu'il était juste d'en faire profiter les autres, pas vrai ?

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En tout cas, le karma travaille pour vous.
Les gens que vous conseillez vous remplissent d'énergie. C'est bien de sortir de soi-même. Quand on est concentré sur ses propres histoires, il est facile de se lasser de soi-même, pour ainsi dire. J'apprends beaucoup des nouveaux photographes, je retrouve un enthousiasme face à leur travail. C'est très stimulant. Et puis, parfois je me dis Bon, je vais me mettre sur mes trucs.Et quand je suis fatigué de moi-même, ce qui m'arrive facilement, je peux se concentrer sur quelqu'un d'autre. De cette façon, j'évite de me cramer.

Je me sens à l'aise dans ce que je sais faire. Ça a toujours bien marché au lycée et à la fac et j'ai eu un bon boulot de photographe pour un journal en sortant du lycée – je n'ai jamais ressenti le besoin de rentrer en compétition avec qui que ce soit. Donc j'ai toujours eu beaucoup d'énergie à offrir aux autres.

Ci-dessous, plus de photos de David Alan Harvey

Des pages de Tell It Like It Is

Rio de Janeiro, extrait de (based on a true story)

Rio de Janeiro, extrait de (based on a true story)

Rio de Janeiro, extrait de (based on a true story)

Extrait du livre Divided Soul

Rio de Janeiro, extrait de (based on a true story)

Extrait de Tell It Like It Is

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