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Les mecs de Magnum

Chris Steele-Perkins aime l’Angleterre (vraiment)

Le photographe de l'agence Magnum a beau avoir parcouru le monde entier, il retourne inévitablement sur les terres de Sa Majesté.

Chris Steele-Perkins a commencé des études de psychologie avant de se tourner, du jour au lendemain, vers la photographie. Ses premiers travaux, à l'époque où il bossait pour le collectif EXIT, traitaient des problèmes sociaux aperçus dans différentes villes d'Angleterre au cours des années 1970 – voir l'essentiel Survival Programmes, publié en 1982.

En 1979, Chris a sorti son premier livre solo, Teds, un documentaire sur le revival de la subculture Teddy Boys anglaise dans les années 1970. Après ça, il s'est mis à voyager ; il a longuement photographié l'Afrique, l'Afghanistan, et plus récemment, le Japon. Il fait partie de l'écurie Magnum depuis 1979 et on a discuté ensemble de son obsession – ou plutôt, de ce mélange d'attachement et de fascination – pour l'Angleterre.

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VICE : Votre background brasse des influences diverses. J'ai cru comprendre que vous aviez étudié la chimie et la psychologie. Est-ce que ça a pu, d'une manière ou d'une autre, vous aider dans votre travail ?
Chris Steele-Perkins : Mmh, pas sûr. Je cherchais bien sûr à faire quelque chose qui me plaise. J'ai commencé par la chimie, mais j'ai vite compris que ce n'était pas ce que je voulais faire. La psychologie, c'était intéressant, amusant même, mais là encore, je ne me sentais pas dans mon élément. À cette époque, j'ai commencé à bosser pour des organes de presse étudiante – en tant que photographe – et ça, ça m'a tout de suite branché. Lorsque j'ai été diplômé, je me suis rendu compte que c'était cette voie que je voulais suivre depuis le début.

À travers votre travail, j'ai eu l'impression que vous arriviez à toucher le cœur des problèmes et des difficultés personnelles de vos sujets. Excusez-moi d'insister, mais, pensez-vous que vos études en psychologie aient pu vous aider à comprendre les gens et leur détresse ?
Je dirais que ce qui m'a aidé en psychologie, c'est surtout le fait qu'il ne s'agissait pas de physique nucléaire, quoi. En gros, c'était un cursus relativement facile et ça m'a permis d'avoir beaucoup de temps pour bosser sur la photo. J'espère que ça ne va pas paraître prétentieux mais, en effet, ce qui m'intéresse, c'est la condition humaine. La façon dont les gens vivent, partout. J'ai également été très influencé par les photographes humanistes à la Kertész, Cartier-Bresson, Eugene Smith et d'autres mecs de ce genre.

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Des villageois au Bangladesh, 1972.

Votre premier gros travail était localisé au Bangladesh et abordait l'extrême pauvreté dont vous aviez été témoin sur le terrain. Pourtant, votre premier livre à paraître a été celui sur les Teddy Boys anglais. Pourquoi ?
Mon voyage au Bangladesh était mon premier vrai voyage. Puis, je n'ai plus trop bougé. Comme j'avais toujours été très intéressé par l'Angleterre, je me suis lancé sur deux projets, mais je ne soupçonnais pas l'importance qu'ils prendraient trois ans plus tard. L'un des deux est né d'un projet sur lequel je travaillais avec un ami pigiste. On voulait écrire une story à propos du revival Teddy Boy pour un magazine. Après une soirée au pub, on s'est dit qu'on tenait un bon sujet, et au final, on en a fait un livre.

Au même moment, avec deux autres photographes, on s'est retrouvés embringués dans un petit groupe, EXIT. Ils cherchaient à monter un projet autour des difficultés dans les quartiers pauvres de Grande-Bretagne. On est restés plusieurs mois avec les restes de la working classanglaise, à boire des pintes et documenter toutes les manifestations de la misère. C'est aussi devenu un livre, Survival Programmes, quelques années plus tard. J'ai toujours trouvé que les livres étaient la façon la plus satisfaisante de conclure un projet.

Qu'est-ce que vous préférez dans le format livre ?
La satisfaction d'avoir le contrôle sur tout. Douze pages dans le Sunday Times, à l'époque c'est génial, mais vous vous retrouviez avec une pub pour le whisky en plein milieu, puis une autre pour un 4x4 Land Rover à la fin. Ils choisissent des photos qui ne vous plaisent pas toujours, rognent un peu sur certaines, etc. Un livre, ça donne un sens à votre projet, et si untel n'aime pas, c'est parce qu'un seul mec a merdé : vous. Impossible de blâmer quelqu'un d'autre.

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À un moment, je voulais faire un truc qui me permette de m'exprimer, et j'ai eu la chance de trouver des gens qui étaient prêts à me publier et m'ont accompagné dans ce sens. Aujourd'hui encore, avec Internet et toutes les possibilités que ça nous offre, je pense toujours que le bouquin, cet objet que tu peux sortir d'une étagère, tenir entre les mains et à côté duquel tu peux t'asseoir, demeure la meilleure façon de regarder des photos.

Revenons à Teds. Ce livre a eu une deuxième vie, est devenu une sorte de document fondamental pour le monde de la mode près de dix ans après sa parution. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Si c'est le cas, c'est génial [rires]. Il est évident qu'au départ, c'était simplement un document sur la société ; la mode n'était qu'une partie de l'ensemble qu'on avait cherché à couvrir. Mais peut-être qu'au départ, en effet, le côté vestimentaire a attiré mon attention sur ce sujet plus que le reste.

Bain hebdomadaire pour les enfants de l'orphelinat de Kaboul, en Afghanistan, 1994.

J'ai l'impression qu'une grande partie de votre œuvre est née d'immersions dans la vie de vos sujets – les plus poussées étant celles sur les squatteurs de Belfast ou les Talibans afghans. Était-ce une pratique délibérée ou du pur hasard ?
C'est absolument conscient. Si vous n'arrivez pas à entrer dans la vie des sujets de votre propre boulot, personne ne le fera pour vous. Et finalement, vous vous retrouverez avec un tas de photos stériles, inutilisables.

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Votre travail oscille entre le reportage photo classique et l'art. Le projet Film Ends était plutôt expérimental et votre livre Pleasure Principle n'était pas, pour sa part, purement subjectif. Comment parvenez-vous à garder un équilibre entre les deux ?
J'ai toujours eu l'impression d'être un photographe subjectif, même lorsque je faisais un reportage classique. Par exemple, ce livre que j'ai fait sur l'Afghanistan, d'un côté, il est très classique – noir et blanc, documentaire, chroniques d'une zone de guerre. Mais dans les faits, il est très largement consacré à des gens qui continue de vivre leur vie quotidienne, tout ce qu'il y a de plus tranquille. Il y a des fusillades et des grenades qui volent, mais tout ça est en contexte – ou du moins, suit l'idée que je me fais du contexte.

Ce livre est, selon moi, très personnel. Il comprend un texte que j'ai écrit sur les expériences qui ont émaillé mon chemin. Je crois que j'ai toujours eu un pied dans ce côté subjectif, personnel des choses, alors que l'autre ne demandait qu'à aller explorer le vaste monde.

Des combattants talibans s'attaquent aux armées de Massoud. Afghanistan, 1996.

Vous avez rejoint Magnum en 1979. Comment ça s'est passé ?
Comme j'ai dit, je travaillais principalement sur des sujets locaux, au Royaume-Uni et Belfast avait été comme l'acmé de tous ces boulots. Après ça, j'ai eu très envie de voir d'autres coins – la photo étant un biais fantastique pour ça. J'avais rencontré Joseph Kudelka plusieurs fois à Londres, et un jour, sorti de nulle part, il m'a dit d'envoyer un book à Magnum. À ce moment-là, je voulais justement travailler en agence. Tout est arrivé un peu par hasard. J'ai été nommé à la suite d'un vote, comme c'est le cas pour tout le monde – j'ai eu de la chance et ai été accepté.

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En quoi pensez-vous que le fait de travailler avec Magnum a pu affecter votre travail ?
Eh bien, je suppose que ça a beaucoup joué, notamment parce que j'étais assez isolé à Londres. J'ai pu rencontrer de nombreuses personnes dont j'appréciais les travaux, et en un sens, j'ai pu me mesurer à eux pendant l'âge d'or de la photo de magazine. Les infrastructures étaient là pour nous permettre d'être publiés, on n'avait qu'à faire les photos. Et c'est exactement ce que je voulais, être sur le terrain. Ça peut sembler dingue aujourd'hui, mais à une époque, je ne pensais même pas à l'argent. Je pensais seulement à ramener des photos intéressantes – et je savais qu'on allait me payer pour ça.

L'autre point qui a eu beaucoup d'importance, ce sont les archives Magnum. Le fait que votre boulot atterrisse au milieu de tout ça, qu'il soit recyclé et réutilisé, pour la couverture d'un livre par exemple, c'est une autre possibilité d'augmenter vos revenus. Ça vous offre la liberté de juste faire votre boulot. C'est ce dont tout le monde rêve, je crois.

Phyllis Corker, née le 3 juin 1907, est centenaire. Elle se tient devant sa chambre dans un hospice, à Sheffield, en Angleterre.

Et vous êtes toujours chez Magnum, aujourd'hui.
En effet. C'est de plus en plus difficile de trouver des financements pour certains travaux que j'aimerais faire, mais l'objectif en entrant dans ce milieu, c'était de faire ce que je voulais plutôt que de travailler pour les besoins d'untel ou untel. J'ai l'intention de faire ça jusqu'à ma mort.

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Parlez-nous de votre nouveau projet, Fading Light.En quoi ça consiste ?
Ça vient d'un petit article que j'ai lu dans un canard local – une statistique sur le nombre de personnes de plus de cent ans. Le problème du vieillissement de la population dans le monde occidental est sur la table depuis quelques temps. L'article disait qu'au Royaume-Uni, on comptait plus de 10 000 personnes âgées de plus de 100 ans.

C'est impressionnant, en effet.
Je me suis dit la même chose. C'est une nouvelle démographie, un truc qui n'a jamais existé sur cette planète, et je me demandais à quoi ressemblaient ces gens. Je voulais aussi savoir comment je me sentirais à leur place. Alors j'ai décidé de travailler sur cette série de portraits et d'entretiens avec des centenaires dans le but de documenter ce phénomène alors qu'il en est encore à ses prémices. Il doit y avoir 12 000 centenaires en Grande-Bretagne aujourd'hui, et ils seront bientôt 20 000.

Ce projet est né comme beaucoup d'autres : une idée vous tombe dessus et vous ne pouvez plus vous en défaire. J'ai voulu aller au bout, et j'ai fait publier le livre. Mais pour revenir à la question, non, ce n'est pas mon dernier projet. Mon dernier boulot traite des domaines de riches propriétaires terriens dans les campagnes anglaises. C'est quelque chose que je cherchais à faire depuis des années, mais j'ai eu toutes les peines du monde à trouver un propriétaire qui accepte de me laisser vadrouiller et faire ce que je voulais sur son domaine. J'ai finalement trouvé un endroit, Holkham Hall, un grand domaine dans le Norfolk, et j'y ai passé près d'un an. Je n'ai fait que photographier la vie là-bas, sous toutes ces coutures. L'Angleterre m'intéresse toujours autant.

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Pourquoi selon vous, vous revenez toujours bosser en Angleterre ?
Tout d'abord, j'habite ici. Et puis, je préfère l'Angleterre au reste du monde – ça me plaît. C'est sans doute, en partie, dû au fait que je suis moitié birman et que je ne suis pas né ici ; ceci dit, j'y faisans sans cesse des allers-retours quand j'étais petit. C'est aussi peut-être parce que je n'y trouvais pas ma place, au début. J'ai toujours eu l'impression de l'observer d'un point de vue extérieur. C'est un endroit étrange peuplé de gens étranges, et qui continue de m'intriguer, aussi bien quand je travaille avec un châtelain, une dame de 105 ans ou un type à la coiffure étrange qui menace de me péter la gueule.

Des combattants talibans se réfugient derrière un blindé à l'issue de la bataille de la vallée de Panshir. Afghanistan, 1996.

Des enfants jouent dans un bâtiment abandonné. Kaboul, Afghanistan, 1994.

Ouest catholique de Belfast, Falls Road. Un véhicule volé, en train de brûler. Irlande du Nord, 1978.

Le parking de White Hart, Willesden, Londres. Angleterre, 1976.

Belfast ouest, devant les tours Divis. Irlande du Nord, 1978.

Un coin de rue, à Belfast ouest. Irlande du Nord, 1978.

Des patients, en train de prendre des médicaments dans une clinique du Bangladesh.

Phyllis Corker, née le 3 juin 1907, est centenaire. Elle est ici dans sa chambre de l'hospice, à Sheffield, en Angleterre.

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