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La pauvreté a des effets néfastes sur le cerveau

Le stress souvent inhérent à la vie dans la pauvreté peut altérer le cerveau et ainsi accentuer les désavantages de personnes déjà défavorisées.

Nous savons que les pauvres s'appauvrissent, et que ceux qui grandissent dans la pauvreté sont plus à risque d'y rester à l'âge adulte. Mais les causes ne seraient pas seulement socioéconomiques : des neurologues commencent à examiner ce phénomène de leur perspective et voient des liens entre la pauvreté et le développement du cerveau.

Les chercheurs se penchent depuis longtemps sur les effets des revenus, de la richesse, de la scolarité et du prestige – le statut socioéconomique ou SSE – sur divers aspects de la vie. Ils ont constamment observé que les personnes de statut socioéconomique élevé réussissent mieux aux tests d'intelligence et dans leur parcours scolaire. Dans une étude, on a noté que le quotient intellectuel moyen d'un groupe d'enfants d'un milieu urbain défavorisé était de 80, alors que la moyenne dans la population générale est de 100. Dans une autre étude, on a noté que les enfants qui passent toute leur enfance dans un milieu défavorisé obtiennent des résultats inférieurs de 20 % aux tests de mémoire de travail que les enfants qui n'ont jamais vécu dans la pauvreté. On a aussi établi une corrélation entre le SSE et les compétences langagières. Une étude célèbre a démontré que les enfants de trois ans dont les parents ont des revenus élevés connaissent deux fois plus de mots que ceux dont les parents bénéficient de l'aide sociale.

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« Nous ne devrions donc pas être surpris de voir que le statut socioéconomique se reflète dans le cerveau des gens », dit Martha Farah, neurologue cognitive de l'Université de la Pennsylvanie. En effet, des études d'imageries par résonnance magnétique ont permis d'observer des différences cérébrales importantes en fonction du SSE, par exemple dans les dimensions de certaines zones associées à la mémoire, à l'apprentissage ou aux fonctions exécutives (qui servent à planifier, organiser, élaborer des stratégies, être attentif, se rappeler de détails et gérer le temps et l'espace). Ces différences, comme les dimensions du cortex cérébral, se voient déjà chez un enfant âgé d'un mois.

Dans une étude dirigée par Kim Noble de l'Université Columbia, on a observé que l'aire corticale – la couche extérieure du cerveau associée au langage, à la lecture et aux fonctions exécutives qui continue de se développer au cours de l'adolescence – d'enfants de familles avec des revenus de 25 000 $ par année ou moins était plus petite de 6 % que chez les enfants de familles dont le revenu annuel était de plus de 150 000 $. Ces différences étaient spécialement prononcées chez les enfants des familles les plus pauvres.

Le SSE est au moins en partie la cause – plutôt que l'effet – de ces différences. Plus tôt on vit dans la pauvreté, plus faibles risquent d'être les résultats cognitifs. Plus longtemps on vit dans la pauvreté, pire est la mémoire de travail (l'utilisation de l'information retenue à court terme). Peut-être encore plus convaincant, les recherches montrent que près de la moitié des variations du QI chez les enfants adoptés sont attribuables au SSE de la famille d'adoption plutôt qu'à la génétique, notamment. Même en contrôlant des facteurs susceptibles de fausser les conclusions, comme l'hérédité et la santé, les recherches montrent des différences cérébrales évidentes entre les enfants de SSE faible et élevé.

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Une partie de la population se retrouve condamnée. Le stress souvent inhérent à la vie dans la pauvreté peut altérer le cerveau et ainsi accentuer les désavantages de personnes déjà défavorisées.

Par exemple, un environnement stressant peut nuire au développement des fonctions exécutives de l'enfant. En fait, l'environnement familial dans les années préscolaires joue un plus grand rôle dans le développement des fonctions exécutives que la qualité du service de garde ou même de l'enseignement en classe. Des études suggèrent que le stress explique à lui seul l'association entre la pauvreté et une mauvaise mémoire de travail.

Comment le stress affecte-t-il le fonctionnement cerveau? C'est entre autres qu'il touche l'hippocampe, une structure du cerveau qui joue un rôle central dans la consolidation des souvenirs. En période de stress, l'hippocampe ainsi que d'autres zones du cerveau, comme le cortex préfrontal, sont inondés de cortisol – l'hormone du stress.

Exposé à un stress excessif et constant, l'hippocampe devient surchargé et, éventuellement, sa structure s'endommage. Cette atrophie est très prononcée chez les personnes qui ont subi un trouble de stress post-traumatique; leur hippocampe a un volume souvent réduit et est moins actif au cours des tâches qui sollicitent la mémoire. Chez les personnes de SSE faible, dont le taux de cortisol est sans surprise élevé, les effets sont similaires.

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Et ce n'est pas tout. Normalement, la réponse combat-fuite du cerveau s'atténue après un danger. « Une fois qu'on voit qu'il n'y a plus de menace, on veut que la réponse au stress diminue rapidement parce que l'exposition prolongée aux hormones du stress est néfaste », dit Martha Farah. Des recherches ont révélé que le complexe amygdalien, un voisin de l'hippocampe responsable de la reconnaissance des menaces et de la formation de souvenirs émotionnels, est plus actif chez les personnes de SSE faible. En cas de danger, le complexe amygdalien d'une personne pauvre – ou même d'une personne qui ne l'est pas mais l'a déjà été – sera plus actif et le restera plus longtemps. En d'autres mots, les personnes de SSE faible, confrontées à une même situation, seront généralement plus stressées que les personnes de SSE élevé.

C'est logique, car s'il y a de nombreux dangers dans votre environnement, vous risquez de devenir hypervigilant. Le problème, c'est que vous serez aussi par conséquent plus exposé aux effets néfastes du stress. Vous entrerez dans un cercle vicieux : le stress constant altère les fonctions cérébrales et vous expose à davantage de stress.

De plus, la surcharge cognitive et émotive qu'entraîne la pauvreté peut affecter la maîtrise de soi, indispensable à la réussite dans la vie personnelle, scolaire et professionnelle. D'un point de vue neuroscientifique, le SSE élevé permet de mieux résister aux impulsions et à retarder la recherche de satisfaction. En revanche, comme le résume une autre étude, les personnes vivant dans la précarité sont plus susceptibles que les autres de « se comporter de manière susceptible de perpétuer une situation désavantageuse ».

Que devons-nous conclure? Un enfant qui naît dans une famille pauvre a déjà la malchance de grandir dans la pauvreté. Il aura fort probablement moins accès aux soins de santé, à un quartier sécuritaire, à une éducation de qualité, à des aliments sains, à un environnement exempt de pollution, sans compter que ces parents n'auront peut-être pas le temps de lui lire des histoires le soir. Comme si ce n'était pas assez, des zones de son cerveau en seront altérées, ce qui accentuera son désavantage dans la société moderne.

« Oui, c'est grave », convient la neurologue, mais ses recherches lui donnent des raisons d'être optimiste. En étudiant les effets d'un SSE faible sur le développement cérébral, elle et d'autres scientifiques espèrent apprendre à les prévenir ou à les renverser. Bien qu'elle admette que la neuroscience n'a pas encore produit de solution concrète, ces recherches n'en sont qu'à leurs débuts : on a mené la première étude sur les effets de la pauvreté il y a à peine une décennie. Plus on en apprend, mieux nous pourrons intervenir pour combattre les effets néfastes de la pauvreté et protéger le cerveau des enfants.