FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Je suis allée au musée du bonheur – maintenant, je suis triste

La Happy Place est une « installation » pensée pour les feeds Instagram. Problème : se jeter dans des confettis est tout sauf amusant, en fait.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
musée du bonheur

Le monde, vous l’avez sûrement remarqué, n’est pas un coin de paradis.

C’est d’une évidence particulièrement criante dans le centre-ville de Los Angeles, récemment revitalisé (comprenez qu’un Urban Outfitters a ouvert ses portes) quoique toujours en proie à la misère humaine (la population des sans-abri du quartier de Skid Row a augmenté de 20 pour cent l'année dernière et un rapport récent a révélé que la nuit, seules neuf toilettes publiques sont disponibles pour les 1 800 personnes qui y vivent).

Publicité

Récemment, alors que je marchais sur Fourth Street à midi un jour de semaine, j'ai été accostée par un vagabond tenant dans les mains un pichet rempli de ce qui ressemblait à de l'urine. Il a ricané en disant qu'il pouvait me sentir à travers mon jean. Cela ne m'a pas rendue heureuse.

À quelques pas de là, un hipster à la barbe artistique et au chapeau prétentieux fumait un cigare, assis dans le caniveau en face de l'Urth Caffé, une chaîne locale spécialisée dans la vente de « cafés exclusivement bio » et salades à 13 dollars. C'était maintenant à mon tour de ricaner, ce que j'ai fait avec aplomb pendant que je le regardais prendre selfie après selfie. Cela non plus ne m'a pas rendu heureuse.

Mais le doux soulagement de ces tue-la-joie allait bientôt arriver, me disais-je. J'étais en route vers la Happy Place, un entrepôt de 1 860 m2 qu'une publicité ciblée sur Facebook m’a vendu comme un endroit « rempli d'installations uniques et de salles multi-sensorielles qui vous redonneront à coup sûr le sourire » pour la modique somme de 28,50 dollars (ou 199 pour le forfait VIP). Là-bas, je pourrai « grimper sur un gâteau d'anniversaire géant, danser dans le PLUS GRAND dôme de confettis du monde et sauter dans un pot de bonheur depuis un arc-en-ciel plus grand que nature ».

Les expériences de divertissement basées sur « l’installation », conçues dans le seul but d’être documentées sur les réseaux sociaux, sont ma parfaite antithèse. Pourtant, le succès retentissant des expériences pop-up comme la Color Factory ou le Museum of Ice Cream prouvent que les gens sont prêts à payer plus de 200 dollars pour se rouler dans des confettis et se prendre en photo devant des murs de canards en caoutchouc.

Publicité

Maryellis Bunn, fondatrice du Museum of Ice Cream, estime que les espaces comme le sien représentent l'avenir du divertissement. « Notre génération a autre chose à faire que de passer six heures à faire quelque chose », a-t-elle déclaré dans un récent article paru dans le New York Magazine. « J’adore Disneyland, mais ce n’est… ce n’est pas adapté à aujourd’hui. »

« Laissez la tristesse derrière vous », m’intime une vidéo d’introduction tandis que je traverse l'entrée aux couleurs vives de la Happy Place – un monde « sans tristesse, sans soucis, sans larmes ». On m’invite ensuite à me diriger vers le food truck (« Grilled cheese arc-en-ciel ! ») et à prendre « BEAUCOUP de photos ». Une employée se porte garante du grilled cheese arc-en-ciel, m’affirmant qu’il est aussi délicieux qu’Instagrammable.

J’ai voulu visiter la Happy Place car j'ai été fascinée par une vidéo sur son site dans laquelle une version remixée de la balle Zoloft traîne tristement seule à travers une dystopie noire et blanche. L’air renfrogné, elle se regarde à l’aide de l’appareil photo frontal de son téléphone. Mais son expression passe de la misère à la curiosité quand un ballon jaune émerge du bas du cadre de la caméra.

Le ballon la mène jusqu’à la Happy Place. Là, son visage s’émerveille face à la possibilité de prendre des selfies devant des toiles de fond décoratives. Elle se retrouve entourée d'autres balles Zoloft, qui sont toutes captivées par leur téléphone. Elles sont toujours seules, mais elles sont seules ensemble.

Publicité

Je traverse un couloir dominé par un néon géant « Don’t Worry Be Happy » pour arriver dans le premier spot photo – une salle où se trouve un talon aiguille de deux mètres composé de 200 000 M&Ms. Des gâteaux, de la limonade et des glaces à l’eau sont également proposés.

Les règles de la Happy Place

La Happy Place comprend une salle remplie de fleurs artificielles, un énorme gâteau d'anniversaire et un arc-en-ciel qui mène au « pot de bonheur » mentionné ci-dessus. « Aimeriez-vous sauter dans un géant tas de bonheur ? », me demande un employé. « Oh, je crois que j’en suis incapable, émotionnellement parlant », je lui réponds.

Il y a des scènes remplies de canards en caoutchouc et des boîtes lumineuses qui disent « Vive l’amour ». J'ai du mal à croire que quelqu'un puisse payer 30 dollars pour pouvoir voir ça, mais il m’arrive de me tromper.

À l'exception d’un enfant et de sa mère, et d'une poignée de femmes qui sont, je suppose, des « créatrices de tendances » sur les réseaux sociaux, je me balade seule à travers la Happy Place lors de son avant-première. Debout dans une pièce où « Bad Romance » de Lady Gaga passe à un niveau de décibels que l'on pourrait qualifier de « nauséabond », je me trouve envahie d'une tristesse ineffable.

« Célébrez chaque jour qui passe », peut-on lire en lettres dorées géantes dans la « salle d’anniversaire ». Dans la dernière salle, je regarde une femme se prendre en selfie encore et encore dans un photomaton. « J’en prends une autre ?, demande-t-elle à son amie. Je vais en faire une de plus. »

« Désolée », me dit-elle en remarquant mon regard. « Vingt-cinq prises pour avoir la bonne. » Après quoi je prends joyeusement mon propre selfie et me fraye un chemin vers la sortie.

Mon selfie dans le « jardin de fleurs »

Suivez Megan Koester sur Twitter.