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LE NUMÉRO PORTRAITS

À la conquête des océans à bord d'un sous-marin géant !

À partir de 2017, SeaOrbiter sillonnera les eaux à la recherche d'espèces inconnues.

Photo publiée avec l'aimable autorisation de SeaOrbiter/Jacques Rougerie

Depuis l'avènement de la Guerre froide, la conquête spatiale a connu une évolution effrénée. Alors que des stations spatiales habitables ont été propulsées en orbite, que Curiosity a esquissé des dessins obscènes sur la planète rouge et que l’association néerlandaise Mars One envisage déjà d’y installer ses premiers colons, 95% des océans demeurent encore inexplorés.

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Mais Jacques Rougerie compte bien y remédier. Cet architecte océanographe français est notamment connu pour les habitats sous-marins et autres musées aquatiques qu’il conçoit depuis plus de trente ans. Récemment, il s’est lancé dans un projet encore plus ambitieux : la construction de SeaOrbiter, un énorme vaisseau semi-submersible de 550 tonnes. À partir de la fin 2017, l’engin sillonnera les eaux à la recherche d’espèces inconnues et de vestiges engloutis de civilisations disparues. Il sera dirigé par un équipage d’environ 20 personnes, Rougerie y compris, et partira en haute mer pour des durées continues de 6 mois. Je me suis rendue sur la péniche parisienne de Jacques, là où il réside et travaille quotidiennement avec son équipe, afin de discuter de son projet et de l’avenir de l’humanité.

VICE : Comment est né votre projet SeaOrbiter ?
Jacques Rougerie : Depuis une dizaine d'années, j’avais envie de réaliser une maison sous-marine capable de traverser les océans. Il a donc fallu tenir compte des contraintes de ce milieu. Pour ce faire, je me suis fondé sur la bionique, en observant comment les animaux s'étaient adaptés à la nature. À partir de ces formes vivantes, il a fallu tirer des lignes de direction pour trouver un objet architectural capable de s'adapter au monde sous-marin. L'idée était donc de faire une sorte d'hippocampe, une sentinelle des océans – c'est d’ailleurs la vocation de SeaOrbiter.

Quelles seront ses premières missions ?
Nous avons prévu des années d’expédition. Nous serons basés à Monaco, d’où nous démarrerons nos missions accompagnés par le prince Albert II. Puis nous naviguerons sur la Méditerranée pendant un an. Ensuite, nous parcourrons l’océan Atlantique pendant huit ans – nous passerons une année dans la mer des Sargasses avec la biologiste marine Sylvia Earle. Grâce à ce vaisseau, nous pourrons explorer des montagnes sous-marines, prospecter des failles abyssales et partir à la découverte d’animaux inconnus. Finalement, ce projet présente des similitudes avec le Radeau des cimes conçu en 1986 pour explorer la canopée des forêts tropicales d’Amazonie. On veut faire la même chose : observer la canopée des mondes sous-marins. Il fallait imaginer un engin d’une nouvelle génération qui permette de vivre sous la mer en toute sécurité.

Il me semble que vous avez vous-même passé 69 jours sous la mer, à bord de la maison sous-marine Chaloupa.
Oui, c’était en Floride, en juin 1992. J'étais en compagnie de l'astronaute Bill Todd, un aquanaute de la NASA et grand spécialiste des habitats sous-marins, qui participe également au projet SeaOrbiter. Depuis des programmes lunaires comme Apollo, les astronautes s'entraînent sous la mer. Il existe beaucoup de similitudes entre ces deux mondes, où l’on évolue dans des conditions extrêmes. Sur notre planète, rien ne se rapproche plus de l’apesanteur que les milieux marins.

Selon vous, pourquoi l’exploration sous-marine attire moins l’attention que celle de l’espace ?
Le monde sous-marin fascine les hommes depuis des siècles, mais ils restent angoissés par la mer – laquelle a englouti des marins, des capitaines et des cités entières. En même temps que la conquête spatiale, [Jacques] Cousteau concevait ses premières maisons sous-marines, parce que la technologie le lui permettait enfin. À ce moment-là, nous nous sommes rendu compte que l’océan n’avait rien de ce que l’on croyait depuis des siècles : il est constitué de galaxies entières de corail et de fabuleuses choses qui pourraient profiter à l’Humanité – des énergies renouvelables et des biotechnologies pouvant être utilisées dans la production de molécules médicamenteuses et d’aliments du futur.

C'est délicat de se demander pourquoi il a fallu autant de temps. On ne voit notre vie que par rapport à une échelle de l'évolution qui ne correspond pas à celle de l'Homme. Mais on ne peut que constater une évidente accélération – en 50 ans, il s'est passé plus de choses que depuis le début de l'Humanité, et je ne peux que me réjouir des décennies à venir.