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Ce type est incapable de dormir parce qu’il a peur de mourir

Les hypnophobes ne connaissent jamais de répit.

Un chauffeur de bus à Bombay qui n'a rien à voir avec notre interlocuteur. Photo via

On considère souvent que parmi les plus grands plaisirs de la vie, il y a le sexe, aller aux toilettes et dormir. Mais que se passerait-il si le sommeil devenait quelque chose de terrifiant ? J. – qui n'a pas souhaité donner son nom complet – souffre d'hypnophobie, à savoir la peur de dormir. Le seul fait de s'imaginer dormir le fait paniquer, ce qui a compliqué les choses au moment de notre entretien puisqu'il devait se retenir de faire une crise d'angoisse à chaque fois qu'on évoquait sa phobie.

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VICE : Salut J. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste l'hypnophobie ?
J. : C'est la peur du sommeil. C'est une des phobies les plus difficiles à comprendre, notamment parce qu'elle est rare. Mais elle affecte profondément la santé physique et mentale de ceux qui en souffrent.

Quelle influence a-t-elle sur ton quotidien ?
Ça affecte tous les aspects de ma vie. J'essaye de rester éveillé par tous les moyens possibles, parce que j'ai peur de mourir – d'un arrêt cardiaque, ou d'un accident. Je me sens impuissant et désespéré. La fatigue physique et mentale qui en résulte pèse à tous les instants, tous les petits détails de ma vie en souffrent, je suis incapable de faire des activités que tout le monde peut faire. C'est pour ça que c'est si difficile à comprendre pour les autres.

Qu'est-ce qui a déclenché cette phobie ?
J'ai commencé par souffrir d'un syndrome vermien (une atteinte du cerveau qui provoque des troubles de l'équilibre et de la coordination). Un soir, en août 2010, j'étais en train de manger quand j'ai perdu conscience pendant quelques secondes. Je suis tombé du canapé. Quand j'ai repris connaissance, seul et désorienté, j'ai décidé d'aller à l'hôpital.

Le traitement que j'ai reçu n'était pas adapté et les médecins étaient persuadés que je m'inventais une maladie. On m'a diagnostiqué une hypochondrie et un trouble psychosomatique. C'est là que mon hypnophobie a commencé.

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Qu'as-tu fait après ça ?
J'ai vu plein de médecins différents qui m'ont fait passer tout un tas de tests. On m'a diagnostiqué beaucoup de choses différentes : certains m'ont dit que j'avais peut-être un cancer, une tumeur au cerveau, ou encore des troubles de l'oreille interne…

Du coup, tous ces diagnostics divergents ont contribué à renforcer ma crainte : j'ai commencé à avoir peur que quelque chose m'arrive, puisque les médecins considéraient comme plausible que je souffre de toutes ces maladies. Pour bien comprendre, il faut aussi garder à l'esprit que les choses sont allées graduellement, au cours de deux années où j'ai souffert en permanence de vertiges et de migraines – en plus de troubles du sommeil. J'ai eu de plus en plus peur de dormir et j'ai commencé à croire que je souffrais d'une maladie grave.

Photo : Bruno Bayley

Ta phobie réside dans la peur de ne pas te réveiller, la peur de la mort. Tu as une croyance particulière sur ce qu'il y a après la vie ?
Je suis athée. Je ne crois pas en un quelconque dieu. Je pense que quand on meurt, il n'y a plus rien, et ça me terrifie. Personne ne m'a préparé à cette pensée, autour de moi.

Comment fais-tu pour ne pas t'endormir ?
Quand je sens que je suis sur le point de m'endormir, mon anxiété monte progressivement. Je souffre de mini-crises de panique, je n'arrive plus à respirer, et ça m'empêche de m'endormir. C'est difficile à expliquer, il faut le vivre pour comprendre, mais mon corps réagit lui-même : mon pouls s'accélère, je tremble, je me sens impuissant. Dans cette situation, mon inconscient prend le dessus.

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En dehors de ça, il m'arrive aussi de sortir volontairement de mon lit et de partir chercher de l'aide. Je suis déjà allé dans des cliniques psychiatriques, mais au lieu de m'aider, ils ont aggravé mon cas en me donnant des médicaments inadaptés. J'ai fini par penser à mettre fin à mes jours, mais je suis quelqu'un de fort mentalement et j'ai réussi à reprendre le dessus.

Et quand tu t'endors malgré tout, comment ça se passe ?
Il m'arrive de m'endormir, mais mon cerveau m'empêche de me reposer complètement, il fait en sorte de ne pas complètement se déconnecter de la réalité. Il finit par le faire pendant de courts épisodes – sans doute parce que je finirais par mourir sinon.

Combien de temps dors-tu en général ?
Quand je finis par m'endormir, je dors entre 3 et 5 heures, en fonction du temps que j'ai passé éveillé et de l'intensité de la panique que j'ai ressentie avant.

Depuis que ta phobie a été diagnostiquée, suis-tu un traitement particulier ?
Il n'y a pas de traitement pharmacologique. Il faut suivre un traitement psychothérapeutique. Très peu d'endroits sont capables de soigner ce genre de troubles. Ceux qui existent sont chers, ce qui fait que la plupart des personnes qui ont le même problème que moi ne peuvent pas se permettre d'y aller. Du coup, j'essaye juste de sortir, de me changer les idées. Je me promène, je réfléchis, afin de ne pas laisser ma phobie prendre trop de placedans ma vie. Comment te sens-tu au réveil, quand tu te rends compte qu'il ne t'est rien arrivé ?
Je suis épuisé au réveil. Je n'ai envie de rien. On ne peut jamais vaincre complètement une phobie, on peut juste essayer de vivre avec le mieux possible. Il faut garder ça à l'esprit : ça ne se guérit pas, et ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs.

Comment ta phobie affecte-t-elle ta vie sociale ?
Je n'ai plus de vie sociale. Mes relations avec d'autres individus se limitent à celles avec ma famille… Sans commentaire. Personne ne comprend ce que je vis, ils ont tendance à croire que je suis juste cinglé. C'est impossible pour moi d'être productif au travail, et ça aussi, ça a aggravé mon isolement, mon manque de confiance en moi, et ça a contribué à l'apparition de nouvelles pathologies qui affectent ma santé mentale.

Tu aurais envie de dire quoi à ceux qui te croient « cinglé » ?
Qu'ils sont plus cinglés que moi, puisqu'ils n'ont aucune empathie.

Qu'est-ce que tu aimerais que les gens comprennent sur l'hypnophobie ?
Il est essentiel de se sentir compris, ce qui est difficile au vu de l'hypocrisie de notre société, laquelle n'hésite pas à laisser à l'écart ou même à abuser des plus faibles. On ne doit surtout pas importuner les autres avec nos problèmes.

Ce type de phobie gagnerait à être connu, d'autant qu'il y a plus de gens qui en souffrent que ce que l'on pense. Et pour le moment, la seule solution qui s'offre à eux, c'est d'aller dans des cliniques privées, mais la plupart n'en ont pas les moyens.