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Le rêve afghan de Sandra Calligaro

Cette jeune photographe française m’a prouvé que Kaboul était loin d’être le merdier qu’on peut imaginer.
Toutes les photos sont de l'auteure.

À première vue, compte tenu de sa situation économique et politique, l'Afghanistan fait toujours partie de ces pays que l'Occident considère avec une angoisse paternaliste. 80% des revenus de l'État proviennent de l'aide internationale et le pays a particulièrement ramé pour se trouver un président. Meurtri par des décennies de violence, notamment celle qui a suivi l'intervention américaine et britannique de 2001, l'Afghanistan est trop fréquemment dépeint comme un repère de talibans hargneux, de politiciens corrompus et de femmes maltraitées. Une image aussi monolithique, si elle peut légitimer l'intervention des forces armées occidentales, est en fait bien éloignée de la réalité.

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Avec son projet intitulé Afghan Dream, Sandra Calligaro, une photographe de 33 ans qui a passé près de sept ans en Afghanistan, montre la vie de la classe moyenne de Kaboul : eux aussi font leurs courses au supermarché, regardent la télé et passent leur temps sur leur smartphone. Ils ne sont pas de dangereux fanatiques et l'État islamique n'a pas encore contaminé les cerveaux de l'ensemble de la population du Moyen-Orient.

OK,  la situation n'est pas rose et la paralysie politique menace un pays encore très instable, mais réduire l'Afghanistan à son instabilité est un mécanisme mental équivalent au fait de réduire la Grèce à un pays exsangue: c'est facile et réconfortant, on se dit qu'on pige le sujet, mais c'est primaire. J'ai donc retrouvé Sandra à la terrasse d'un café afin de discuter de son quotidien à Kaboul et du fait que l'Occident a une fâcheuse tendance à vouloir exporter son modèle de société dans d'autres régions du monde.

Sandra Calligaro, pendant l'un de ses voyages en Afghanistan

VICE : Salut Sandra. Ça fait quoi de vivre en Afghanistan lorsqu'on est une femme ?
Sandra Calligaro : C'est beaucoup moins dur qu'on peut l'imaginer. Je suis arrivée dans le pays pour faire du reportage de guerre et au final j'ai tout photographié, sauf la guerre. J'avais débarqué avec une vision de l'Afghanistan assez classique : la misère, les talibans, mais vivre là-bas a changé mon regard.

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En tant qu'étrangère, je ne faisais pas partie de la société civile afghane et je n'avais donc pas à me plier à tous les impératifs que les Afghanes doivent respecter. Je respecte quand même la culture afghane et sort voilée, avec une longue tunique. C'était même un avantage d'être une femme, vu que je pouvais interagir avec les hommes mais aussi avec les femmes.

Pourquoi as-tu quitté le pays pour revenir en France ?
J'avais l'impression d'avoir fini un cycle, d'avoir évoqué tout ce que je voulais évoquer. La vie était pourtant facile pour moi à Kaboul, j'avais mon réseau, mes piges régulières. Je vivais bien mieux en Afghanistan qu'à Paris.

Qu'est ce que tu penses du regard que porte l'Occident sur l'Afghanistan ?
Il y'a une dramatisation autour de ce que l'on appelle les « zones de conflit ». Je vivais à Kaboul et il n'y avait pas des bombardements tous les jours. Alors oui, Kaboul est la capitale d'un pays en guerre, mais les attaques n'étaient pas permanentes.

De toute façon, si l'on observe l'Afghanistan sans se délester de notre ethnocentrisme, on en vient à considérer ce pays comme anarchique même lorsqu'il n'est pas en guerre.  À mes yeux, c'est tout simplement un système différent. À Kaboul, j'avais mon quotidien : je voyais mes amis, j'ai rencontré mon mec là-bas, on avait notre voiture, deux chiens, etc.

La situation est-elle plus dangereuse en province ?
Oui, et même à Kaboul, ce n'est pas un endroit pour faire du tourisme ! En fait, le danger n'est jamais visible. Après, j'ai aussi un caractère aventurier.

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Bien entendu, j'ai eu la chance de ne jamais être prise à partie dans une attaque. Je n'ai jamais cherché à accompagner les militaires dans les zones de combat. Quand tu restes avec les civils, les risques sont moindres.

Honnêtement, vu que la stratégie de l'OTAN sur place me paraissait mauvaise, je n'allais pas risquer ma vie pour des photos qui finiraient par illustrer des propos auxquels je n'adhère pas.

C'est vrai que la vision des médias est très manichéenne, avec les forces de l'OTAN d'un côté et les méchants barbus de l'autre.
Voilà, c'est tout noir ou tout blanc.

De plus, il très facile d'accompagner les soldats dans les zones de conflit, c'est gratuit et tu es pris en charge par l'armée. Quel est l'intérêt, alors que je n'étais pas en accord avec les agissements de l'OTAN ? Je considérais surtout qu'en étant sur place, je devais apporter quelque chose de plus que les journalistes qui ne venaient que pour une durée temporaire, et qui avaient tendance à travailler avec l'armée plutôt que de faire des sujets de société.

Comment en es-tu venue à t'intéresser à la classe moyenne afghane ?
Il m'a fallu un certain temps pour assumer de montrer cet aspect du pays. Chez nous, ça fait chier de voir qu'il existe une classe moyenne en Afghanistan, ce n'est pas l'image qu'on veut avoir du pays. Cette classe, assez jeune, n'adhère pas non plus à 100% à notre société de consommation occidentale. Ils ont leurs propres habitudes et croyances.

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Et ils pensent que l'Afghanistan a un avenir ?
Oui. Ils ont envie d'aller étudier à l'étranger puis de revenir pour aider leur pays. Après, si une guerre civile éclate, ils vont sûrement attendre un peu avant de revenir, ce qui est compréhensible. On ferait tous la même chose.

Le problème, c'est qu'aucune structure politique n'existe pour que ces jeunes puissent faire évoluer le pays. Mais ils ont quand même compris qu'ils auraient une meilleure vie à Kaboul en faisant partie de l'élite culturelle qu'à Paris en survivant dans des conditions miséreuses.

Et ils ne sont pas mal vus par les milieux plus traditionnalistes ?
Si bien sûr, mais Kaboul est une ville qui reprend la place qu'elle occupait dans les années 70 : celle d'une ville cosmopolite, différente du reste du pays. Les Afghans ont tous des membres de leur famille à l'étranger, en Iran ou au Pakistan surtout. Il y a aussi beaucoup d'Afghans en Europe et aux États-Unis. C'est l'une des diasporas les plus importantes au monde et ça crée des flux, des mélanges.

Les Afghans et les expatriés se côtoient-ils à Kaboul, ou est-ce qu'il existe une green zone comme à Bagdad ?
Ils se côtoient de moins en moins en ce moment, mais la séparation est probablement beaucoup moins frappante qu'à Bagdad – du moins c'est ce que j'imagine, car je n'y ai jamais mis les pieds.

Tu penses que le climat est en train de se dégrader ?
Oui, la situation s'est vraiment détériorée. L'élection du président a pris des mois, mais le pays doit voler de ses propres ailes, les étrangers n'ont pas à faire de l'ingérence dans les affaires internes.

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On a une manière de voir le monde qui est tellement différente. On a déjà imposé le principe de suffrage universel direct pour élire le Président afghan, en appliquant bêtement ce qui a mis plus de 100 ans à fonctionner chez nous.

Oui, on a complètement déstabilisé un pays en imposant nos normes.
C'est ce que je dis à ma mère, qui me parle souvent du statut de la femme. Je lui dis que ce n'est pas aux étrangers à changer le système sur place. Je pense pourtant que le système démocratique et égalitaire à l'occidental est le meilleur mais ce n'est pas pour ça que je veux l'imposer partout.

Les femmes en chient, c'est une certitude, mais les hommes aussi ! Ils doivent se conformer à des normes, ils ne choisissent pas leur épouse, etc.

Tu n'as jamais eu d'appréhension sur le terrain ?
L'imprévisible est inhérent à notre métier, c'est un fait. Ça m'énerve un peu de voir tout le monde s'émouvoir à n'en plus finir dès qu'un journaliste meurt au nom de la liberté de la presse. On ne parle pas autant des pompiers par exemple.

Personnellement, je fais mon métier d'abord pour moi-même, il faut l'assumer. Ça ne veut pas dire que je me fiche de l'éthique, bien au contraire, mais je crois vraiment que les gens font ce qu'ils font pour eux-mêmes et pas pour l'Histoire ou le bien de l'humanité.

Retrouvez Sandra Calligaro sur son site.