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L'avis d'un ancien détenu sur l'islam radical en prison

Karim Mokhtari nous a donné son avis sur la nouvelle réforme Taubira.

Une vue aérienne de la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Photo © Fonds Guillaume Gillet La réforme pénale de Christiane Taubira vient tout juste d'être adoptée par le Parlement. On ne sait pas vraiment si l'ancienne élue FN Anne-Sophie Leclère, qui regrette sûrement sa blague digne d'une cour de récré, doit se réjouir de cette décision ou non. Probablement pas, puisqu'elle fera ses neufs mois de prison ferme dans des conditions déplorables avant qu'un véritable changement ne s'opère dans le système carcéral français.

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Certes, Anne-Sophie Leclère a peu de chances de se tourner vers l'islam radical durant sa détention. Pourtant, d'après Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, les détenus sont tous vulnérables face au fondamentalisme religieux présent dans les prisons françaises. Il se pourrait même que Mehdi Nemmouche, auteur présumé de la tuerie dans un musée juif de Bruxelles, se soit radicalisé durant sa peine. Faudrait-il augmenter le nombre d'aumôniers musulmans pour empêcher cette radicalisation ? J'ai contacté Karim Mokhtari, ancien détenu et pratiquant musulman, pour en savoir plus sur la radicalisation en prison et pour avoir son avis sur la réforme Taubira.

VICE : Les musulmans peuvent-ils pratiquer librement leur religion dans le milieu carcéral ?
Karim Mokhtari : En théorie, toutes les religions peuvent être pratiquées par les détenus, c'est un droit public. Mais dans la pratique c'est autre chose puisque certaines religions, comme la religion chrétienne, dispose de plus d'aumôniers. Les musulmans n'ont pas cet avantage, ce qui les empêche de pratiquer leur religion correctement.

Y avait-il des aumôniers musulmans dans l'établissement pénitentiaire dans lequel vous étiez ?
Sur l'ensemble de ma peine je n'en ai rencontré qu'un seul, à la fin de ma détention.

Avez-vous été témoin d'une « diffusion d'une pensée radicale » en prison, pour reprendre les mots de Bernard Cazeneuve ?
Absolument, j'ai été approché par un groupe de radicaux, qui n'a pu exister justement que parce qu'il manquait des aumôniers.

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Donc certains détenus s'improvisent aumôniers ?
Exactement. Dans une prison on a besoin d'espoir, on a besoin d'être considéré, d'avoir des perspectives, on a besoin que quelqu'un comprenne nos souffrances, et les religions sont là pour ça en général. Si on ne vous donne pas les moyens de la pratiquer comme il faut, on peut alors se tourner vers l'activisme religieux. On comble le besoin comme on peut.

Pensez-vous que leur présence puisse aider à réduire le radicalisme et qu'il devrait y avoir davantage d'aumôniers dans les prisons, ainsi que des lieux adaptés ?
Oui, mais pas seulement. Des lieux adaptés c'est une chose, et il y a aussi un réel besoin d'aumôniers formés, mais il faut surtout avoir des espaces de parole. Aujourd'hui, les discussions se font en catimini, on n'a pas la possibilité de discuter et de débattre avec des religieux instruits et modérés.

Pourquoi pensez-vous que les détenus sont attirés par le fondamentalisme religieux ?
Parce que quand on se sent abandonné par sa famille, par son pays, par sa justice, on entre dans une sorte de révolte personnelle. On ne se sent pas intégré dans la société qui nous accueille. On a besoin d'extérioriser toute cette rage, toute cette révolte, d'être compris par quelqu'un. Lorsque l'on vous tend la main, même avec un discours radical, et qu'on met des mots sur votre souffrance, vos douleurs et vos espoirs, c'est rassurant et attrayant à la fois.

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Qu'est-ce qui vous a permis de ne pas être attiré par ces discours radicaux ?
Je savais ce que je cherchais à travers la religion. Je cherchais à me canaliser, à m'améliorer, à vaincre cette violence qui m'avait transformé. J'avais profondément envie de changer et je m'étais dit que l'islam pourrait m'aider. Pour moi l'islam est une religion de paix et de tolérance. Quand j'ai rencontré des radicaux, dès qu'ils ont changé leur discours et qu'ils ont eu des propos très violents, j'ai compris que ma vision de l'islam différait de la leur. Les radicaux utilisent les besoins des détenus pour les manipuler.

La différence, c'est que je cherchais quelque chose dans la religion alors que d'autres se cherchent eux-mêmes. Ils cherchent leur identité, leurs origines, leur culture. Ils veulent donner un sens à leur existence, tout simplement.

D'après vous, Mehdi Nemmouche, soupçonné d'avoir tué quatre personnes fin mai dans le musée juif de Bruxelles a-t-il pu se radicaliser en détention comme le disent les services de renseignements français ?
On ne se radicalise pas comme ça du jour au lendemain je pense, il faut des prédispositions, avoir une expérience de vie qui peut vous amener à cela, et avoir une certaine difficulté à s'intégrer.

Que pensez-vous de la réforme pénale proposée par madame Taubira ?
J'approuve totalement. J'ai même participé à la conférence de consensus. Toutes les formes d'alternatives à l'incarcération sont selon moi un progrès social, un progrès de la justice, de notre république. Un individu incarcéré coûte entre 90 et 130 euros par jour à l'Etat. Un individu qui bénéficie d'une alternative à l'incarcération comme le bracelet électronique par exemple, coûte entre 30 et 60 euros. Mais aussi, un individu qui aurait été incarcéré récidive trois fois plus qu'un individu qui a bénéficié d'une autre alternative. Le « tout carcéral » ne fonctionne pas. Responsabiliser ce n'est pas juste châtier, c'est aussi permettre un retour à la citoyenneté. Je soutiens madame Taubira au nom des droits de l'homme.

D'après votre expérience, ces droits sont-ils régulièrement bafoués dans les prisons françaises ?
C'est quotidien. Quand on déchire vos photos de famille au cas où vous auriez caché quelque chose dedans, qu'on ne peut prendre que trois douches par semaine, quand on vous passe à tabac jusqu'à vous laisser pour mort dans une cellule, quand on demande à votre mère d'enlever son soutien gorge pour venir vous voir au parloir, quand on partage une cellule de 9m2 avec quatre ou cinq personnes… on n'est plus traité comme un individu. Je ne suis pas le seul à le dire. La Cour européenne des droits de l'homme a condamné maintes et maintes fois l'Etat français pour cela.

Quand tous ces droits sont bafoués, l'islam radical peut apparaître comme la seule chose qui vous ramène à votre humanité. Quand on vous traite comme un animal et que des gens vous proposent de redevenir un homme, vous faites vite votre choix.

Merci beaucoup.