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Un jour, les introvertis domineront le monde

Il est temps de faire cesser cette grande mascarade qu'est le culte de l'extraversion.

Illustration : Zelda Mauger

En soirée, au boulot, en cours ou même dans les dîners de famille, le monde se divise en deux catégories : ceux qui parlent et ceux qui se taisent. Les introvertis et les autres, ceux qui parlent politique internationale, demandent des nouvelles à leurs amis et enchaînent les blagues scabreuses. Et il se trouve que le monde ne tourne qu'autour de ceux qui parlent.

Aujourd'hui, l'introversion est devenue un défaut. Attention, je ne parle même pas des timides. La timidité peut parfois toucher des personnes qui au fond sont extraverties (ou aimeraient l'être) mais ne parviennent pas à dépasser l'anxiété que génère en eux ce type de comportement. L'introversion désigne autre chose : une préférence pour la solitude, l'écoute et l'observation, plutôt qu'une volonté de se retrouver constamment au cœur des activités sociales. En soi, l'introversion est juste un trait de caractère, et les introvertis ne sont pas des sociopathes. Ils trouvent simplement plus de plaisir à faire les choses seuls, ou avec des personnes très proches, plutôt qu'à engager de nombreuses interactions sociales.

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Pourtant, regardez cette définition, trouvée sur un dictionnaire en ligne : « Introversion : repli sur soi. Synonyme : autisme ». Je dois une fière chandelle à cette définition, sans laquelle j'aurais peut-être vécu encore de longues années sans que ma pathologie ne soit diagnostiquée. Mais je ne pense pas être malade – autiste ou pas – et j'espère que les introvertis seront d'accord avec moi. Les réservés, les discrets, les calmes, les effacés, et les mecs qui s'en foutent : unissons-nous ! Il est temps de mettre fin à la dictature des extravertis.

Car il y a bien un culte de l'extraversion. Nos comportements sur les réseaux sociaux en sont un symptôme : l'intérêt même de Facebook et de Twitter réside dans une boulimie d'interactions sociales – aussi limitées soient-elles – car ces sites perdent tout intérêt si l'on n'y parle qu'avec un cercle ultra-restreint d'amis proches.

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Mais si l'importance croissante des réseaux sociaux a pu contribuer à faire passer l'introversion pour un défaut, il semblerait que la norme de l'extraversion soit le résultat d'une tendance plus générale. Dans la société marchande et individualiste qui est la nôtre, tout le monde est en concurrence avec tout le monde. Dans un contexte pareil, l'extraversion est le moyen le plus efficace de signifier nos qualités aux autres : il s'agit d'être une sorte de CV ambulant afin que tout le monde puisse voir à quel point nous sommes dynamiques, sociables, motivés, sûrs de nous et performants. C'est le monde de l'entreprise qui a fait de l'extraversion une qualité, et qui a donc en parallèle transformé l'introversion en défaut.

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L'introversion et l'extraversion correspondent simplement à deux types de personnalités différentes : il n'y a pas de raison que l'une soit survalorisée aux dépens de l'autre. L'autre problème, c'est que l'introversion souffre de nombreux clichés. Encore une fois, un introverti n'est pas nécessairement un timide : ce n'est pas ce mec qui reste assis dans un coin à une soirée. Ce serait plutôt cette personne qui ne vient pas du tout ; ou qui vient, parle aux gens, et part quand elle en a eu assez.

Mais je n'en ferais pas tout un plat s'il s'agissait simplement de l'image que les autres ont des introvertis. Ce n'est pas parce que nous avons besoin de passer des moments seuls ou avec des personnes très proches que nous détestons le reste du monde et ne nous préoccupons pas de ce qu'il pense. C'est juste que tel ou tel soir, on préfère rester chez soi et mater un film ou lire plutôt que sortir faire la conversation avec des gens – aucun problème à l'horizon.

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Il serait donc temps que nous puissions assumer cette préférence sans nous sentir coupables. Or, aujourd'hui, il est impossible d'expliquer à quelqu'un qu'on préfère rester seul sans passer pour un quelqu'un de dépressif ou d'antisocial, voire pour un gros loser. Du coup, on se retrouve à inventer des mensonges pourris (« Je me sens pas très bien ce soir », « J'ai un exam à préparer »), et on finit par se demander si on n'a pas un sérieux problème. C'est pourtant souvent loin d'être le cas.

Si vous voulez que les introvertis sortent plus, commencez par arrêter de les prendre pour des abrutis. S'ils ne parlent pas, ce n'est pas parce qu'ils n'ont rien à dire mais parce qu'il ne trouve pas intéressant de le dire. Soit parce qu'il s'agit d'une conversation du type « parler de la pluie et du beau temps » et que l'introverti ne prend pas de plaisir particulier à parler pour le seul plaisir de parler. Soit parce qu'il n'a effectivement rien à dire sur tel ou tel sujet ; mais dans ce cas, il prend quand même plaisir à écouter.

Ce n'est pas parce que nous ne disons rien qu'il ne se passe rien dans nos têtes. Si la conversation nous intéresse, vous nous entendrez. Sinon, sachez que nous ne sommes ni trop stupides pour avoir quelque chose à dire, ni en train de vous juger parce que nous pensons être au-dessus de tout ça. Et non, désolé de vous décevoir, mais nous ne sommes pas non plus en train de réfléchir au moyen le plus rapide de tuer tout le monde autour de nous.

Quand les gens auront compris qu'être introverti n'est ni un défaut, ni une pathologie, le monde se portera mieux. Les introvertis pourront enfin vivre en paix, et les extravertis commenceront peut-être à considérer certains avantages de l'introversion. Ils pourront redécouvrir que le silence peut être une bonne chose. Que passer du temps seul ne signifie pas être seul. Que manger seul peut, de temps en temps, être un plaisir et pas une honte. Ils comprendront qu'être plus réservé offre la possibilité d'écouter, d'observer vraiment, et d'en apprendre ainsi beaucoup plus sur les autres qu'en étant constamment extraverti. Surtout, ils arrêteront d'imposer des façons de faire extraverties à des gens qui ne veulent tout simplement pas s'y adapter : vous avez sûrement déjà connu un de ces profs qui veut absolument « valoriser la participation orale », pose sans cesse des questions, et prend les discrets au mieux pour des dilettantes, au pire pour des idiots ; alors même qu'ils sauraient répondre la plupart du temps. Pourquoi ne pas simplement accepter ce comportement pour ce qu'il est : un trait de caractère ?

Il faut réhabiliter l'introversion pour que chacun puisse trouver son propre équilibre sans être obligé de verser dans l'hypocrisie sociale. À vrai dire, quand je me trouve avec des gens avec lesquels je suis à l'aise, je peux être très bavard et amical. Un introverti, quand il est avec les bonnes personnes, peut très bien faire preuve d'extraversion. S'il ne le fait pas, c'est simplement qu'il n'en ressent pas l'envie ou le besoin. Alors arrêtez de leur dire de « péter un coup » ou d'être un peu moins anti-sociaux. Si un introverti ne se lâche jamais en votre présence, alors c'est peut-être qu'effectivement, il ne vous aime pas. Ça peut arriver. Mais si c'est le cas, faites-lui une fleur : foutez-lui la paix.