Mossless en Amérique : Eliot Dudik

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Mossless en Amérique : Eliot Dudik

Le photographe américain préserve une terre et une culture sur le point de disparaître.

Mossless en Amérique est une colonne qui parle de photographie et où seront publiées différentes interviews de photographes. Cette série sera réalisée en partenariat avec les ogres de Mossless magazine, une revue photo dirigée de main de maître par Romke Hoogwaerts et Grace Leihg. Romke a lancé Mossless en 2009. À l'époque, ce n'était qu'un site pour lequel il interviewait un photographe tous les deux jours. Et depuis 2012, le magazine Mossless sort en version papier ; ils ont sorti deux numéros, chacun se rapportant à un type de photographie en particulier. Mossless s’est fait remarquer en 2012 lors de l'exposition du Millennium Magazine au Musée d'art moderne de New York, puis a reçu le soutien de l'organisation Printed Matter. Leur troisième numéro, consacré à la photographie documentaire américaine des années 2000, s’intitulera « The United States (2003-2013) » et sortira ce printemps.

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Photos d'Eliot Dudik, issues de la série Broken Land

Mossless : Qu'est-ce que vous aimez le plus prendre en photo ?
Eliot Dudik : Les paysages, surtout quand il fait moche.

Où avez-vous grandi ?
J'ai grandi dans une ferme au milieu de la Pennsylvanie. J'étais plongé au milieu de paysages magnifiques, c'est sans doute de là qu'est née ma fascination pour les milieux ruraux.

Vous avez déclaré dans une interview pour le site Great Leap Sideways que vous pensiez que Charleston, en Caroline du Sud, était encore mieux préservée qu'une ville comme Savannah, en Géorgie. Qu'est-ce que vous vouliez dire par là ? À quoi ressemble la vie à Charleston ?
J'adore cette ville plus que n'importe quelle autre. Quand je disais que je la trouvais mieux préservée, je voulais dire que je trouvais que Charleston avait mieux réussi à mettre en valeur d'anciens éléments architecturaux, et que les bâtiments avaient vraiment conservé leur charme historique. Savannah est un peu comme ça, mais ça n'a pas été aussi bien fait.

Savannah paraît beaucoup plus fatiguée, vieillie, tandis que Charleston est une petite ville très vivante, où on mange d'ailleurs extrêmement bien. Il y a plein de raisons qui font que c'est, et de la loin, la meilleure destination touristique du pays.

Photo d'Eliot Dudik, « Bud », tirée de la série Road Ends in Water

Vous pouvez nous faire part d'une anecdote sur un de vos sujets ?
Je vais vous parler de Bud, qu'on peut voir sur la première photo de mon livre. J'ai rencontré Bud dans la boutique de cigares où je travaillais quand j'habitais à Charleston. Enfin, pour être plus précis, je l'ai croisé au bar lounge situé au-dessus de la boutique. Là-bas, on a passé plusieurs soirées à parler de l'histoire de Charleston, de l'importance du mariage et de préservation de la nature.

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J'allais souvent le voir chez lui, sur l'île d'Edisto. Il possède un immense ponton qui s'étend au-dessus des marais. On s'asseyait là et on buvait des Heineken, sa bière préférée, puis on prenait un petit bateau pour contempler le coucher de soleil. Une fois, il m'a raconté un truc incroyable : il avait vu des dauphins se jeter sur le rivage comme des torpilles pour y faire s'échouer quelques poissons, avant de rouler pour les manger et retourner à l'eau. Le soir-même, quand on a pris le bateau, j'ai eu la chance d'y assister à mon tour.

Bud est un inventeur. Il adore créer des choses ; il a inventé une sorte de girouette qui consistait juste en un bidon d'eau auquel il avait ajouté des ailettes. Une fois mis en place sur un clou, il permettait d'éloigner les oiseaux de son ponton et d'éviter qu'ils ne défèquent dessus. Il avait aussi tendu un fil le long du ponton qui vibrait et émettait un son qui éloignait aussi les oiseaux. Je trouvais que c'était une idée de génie.

Un de mes meilleurs souvenirs avec Bud, c'est quand je l'ai aidé à aller chercher son Trauler (un gros bateau) qu'il avait déposé chez un type pour le nettoyer. Sur le chemin du retour, Bud avait dû  se ranger pour laisser passer un bateau plus gros, mais malheureusement, on s'est échoués sur un banc de sable pendant l'opération. Le gros bateau est passé plusieurs fois afin d'essayer de nous débloquer en générant des vagues, mais ça n'y faisait rien. En plus de ça, la marée a commencé à descendre.

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Au bout d'un moment, le bateau s'est retrouvé sur la terre ferme, penchant à 45 degrés. J'ai dû appeler mon bureau pour leur dire que je n'allais pas pouvoir être à l'heure. Bud et moi avons juste fait la sieste en attendant que la marée remonte et nous décoince, 6 à 8 heures plus tard. Quand on a finalement pu repartir, il commençait à faire nuit, et comme Bud ne voyait pas où on allait, on a jeté  l'ancre et on a passé la nuit sur place.

Photo d'Eliot Durik, issue de la série Still Lives

Ça vous arrive d'avoir le sentiment de marcher sur les traces d'un autre photographe ?
C'est toujours difficile de répondre de manière intéressante à la question des influences, mais j'aime bien cette idée de marcher dans les pas d'un autre artiste. Je crois que nous marchons tous dans les pas de tous ceux qui sont passés avant nous. C'est pour cette même raison que j'aime l'histoire. Ça me plaît de me dire que certaines choses que nous prenons pour acquises pourraient être très différentes si le passé en avait voulu autrement.

Il est certain que je considère devoir beaucoup aux bricoleurs et aux inventeurs de la photographie, à ceux qui ont expérimenté, innové, ceux qui sont partis en voyage. Je dois beaucoup au pictorialisme, au surréalisme, à la photographie sociale et à plein d'autres esthétiques. Tous ces courants ont façonné notre conception actuelle de la photographie. J'adore réfléchir à la photographie, qu'elle soit moderne ou plus classique, en me demandant où je me situe. Je n'en suis pas encore sûr, mais j'ai peur de trouver la réponse quand je ne prendrai plus de plaisir à photographier.

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Qu'est-ce qui vous plaît dans le fait de concevoir des livres de photographie ?
Il y a trop de choses. Si je pouvais, je ne ferais que ça. Toutes mes images ou presque ont servi de matériau pour des livres, donc le problème est devenu de produire suffisamment de nouvelles photos pour avoir de quoi faire un livre. J'ai commencé il y a peu à travailler avec d'autres artistes pour regrouper leurs photos dans un livre. On verra ce que ça donne, mais c'est vraiment excitant.

J'adore m'asseoir avec une sélection de photographies parmi lesquelles je ne dois conserver qu'un ensemble cohérent. Je me suis rapidement rendu compte qu'il n'y a rien qui paraisse plus irrévocable que de réunir un ensemble d'images dans un livre, et c'est pourquoi il est vital de ne pas se tromper dans la sélection. C'est ce qui me plaît. Il faut faire ça bien du premier coup, parce qu'il est impossible de revenir en arrière par la suite.

En ce qui concerne les livres que je fais moi-même, c'est juste que j'adore travailler de mes mains. J'adore l'exactitude, la précision, qui sont profondément nécessaires à la réalisation d'un livre ; et c'est sûrement pour la même raison que j'aime autant jouer aux fléchettes. Ça me plaît de travailler plus dur encore que ce que j'aurais cru capable, pour ensuite tenir entre mes mains l'objet que j'ai créé en sachant que je pourrais en profiter le reste de ma vie. C'est tout. J'aime les livres.

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Eliot Dudik est un photographe d'art. Il travaille actuellement sur un documentaire photographique sur la culture et les paysages du sud des Etats-Unis. Sa première monographie, Road Ends in Water, est parue en 2010. Après avoir étudié en anthropologie, en art, et en histoire de l'art à l'université de Charleston, Dudik a reçu un diplôme des Beaux-Arts de la part du Savannah College of Art and Design. En 2011, il a commencé à travailler à l'Université de Caroline du Sud en tant que professeur auxiliaire en photographie.

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