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Culture

Le dernier vol de Peter Funch

Ce photographe danois a immortalisé une petite ville du Kansas au moment d'une explosion.

Peter Funch est un photographe danois basé à New York. Sa dernière série, Last Flight, met en scène la petite ville d’Atchison, dans l’état du Kansas, au moment d’une explosion. À l’aide d’une école de photojournalisme locale, Funch a disséminé 15 appareils photos un peu partout dans la ville pour immortaliser l’implosion du pont Amelia Earhart. Ainsi, Funch souhaite créer un document qui ne fournit aucune réponse. Je me suis rendu dans le studio de Funch pour discuter avec lui de sa vision de l’Amérique, des possibilités de documenter un espace frontière et du pouvoir symbolique d’un pont en train de se faire exploser.

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VICE : Vous pouvez me parler de votre exposition à Copenhague ?

Peter Funch : Cette exposition s'intitulait Last Flight – elle retrace la destruction d'un pont dans le Midwest. Les gens de la ville avaient décidé de faire exploser le pont parce qu'il était trop vieux, pas assez sécurisé. Cet événement m'a fasciné, parce qu'il englobe deux états très différents : ce pont était en passe de devenir une ruine – je tenais à capturer cet état de transition.

Qu'est-ce qui vous intéresse dans les états de transition ?

C'est un moment où l'on devient quelque chose de nouveau, quelque chose de différent et d'impossible à définir. Il n'existe plus aucune manière de décrire l'état de ce pont aujourd'hui. Ce n'est pas un pont, ce n'est pas une ruine, c'est encore autre chose. J'ai photographié ce moment sous plusieurs angles dans une petite ville d'Amérique, avant d'immortaliser d'autres éléments : des objets, des gens et des événements qui illustrent ce même moment d'entre-deux.

Ce pont avait une signification toute particulière – il tenait son nom d'Amelia Earheart, qui était originaire de la ville.

Elle était née là-bas ?

Oui, elle est née dans cette petite ville d'Atchison, dans l'état du Kansas. Elle a disparu en 1937, et deux ans plus tard, le pont a été construit au moment où on l'a déclarée morte. D'une certaine manière, elle est également passée par un état de transition. De la jeune pilote qu'elle était, elle est devenue un véritable mythe.

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Vous avez photographié l'explosion du pont sous plusieurs angles – à l'aide d'une école locale, si je ne me trompe pas. 

C'est exact. Je me suis rendu à Atchison avec quatre personnes, ainsi qu'un producteur et deux assistants. Je me suis fait aider par une université qui propose des cours de journalisme. Au total, 26 étudiants m'ont aidé pour prendre les photos au moment de l'explosion.

Combien d'appareils avez-vous utilisé ?

J'avais 13 appareils et deux drones – 15 appareils m'ont permis de photographier l'événement.

Vous avez de nombreuses photos de l'explosion, mais vous avez aussi fait un gros travail d'investigation sur cette ville.

Oui, j'y suis retourné plusieurs fois. Je voulais raconter ce moment où le pont était démoli, mais également l'histoire d'Amelia Earhart et celle de l'évolution de la ville, qui devient de plus en plus confinée. Je voulais parler de changement, d'une manière encore non définie. J'essaie simplement de mêler toutes ces histoires. Ça impliquait de passer quelques temps dans cette ville, dans cette petite société isolée.

En quoi la photographie est-elle une bonne manière de parler de ce type de transition ?

J'essaie de me reposer sur le journalisme d'investigation, une approche très fournie de la photographie. J'ai fait des études en photojournalisme, et j'essaie de faire les choses à ma manière. J'aime les façons traditionnelles de raconter une histoire : on peut faire des recherches, raconter une certaine vérité. La photographie permet vraiment de donner la main au spectateur et de lui raconter une histoire bien précise.

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La photographie implique la capture d'un moment bien précis, sans tenir compte de ce qu'il s'est passé avant ou de ce qu'il va se passer ensuite. On dirait que vous avez essayé de faire quelque chose de compliqué et de non linéaire.

C'est ce qui me fascine dans la photographie. Il s'agit de briser certaines règles, notre manière de comprendre la photographie et de raconter une histoire. J'aime avoir une approche similaire à celle de Cartier-Bresson : tout repose sur un moment.

Votre histoire traite de l'Amérique, alors que vous venez du Danemark. Il me semble que Robert Frank était intimement persuadé de pouvoir offrir une perspective plus objective sur l'Amérique que les Américains eux-mêmes.

C'est vrai que je travaille souvent sur la thématique des outsiders et des immigrés. J'aime faire figure d'étranger. Je ne pense pas être objectif du tout ; je me contente d'observer les choses de la manière la romantique possible, sans nostalgie aucune.

Vous avez fait de ce projet un livre, puis une exposition que vous avez agencée de manière très originale. Elle reflète cet état d'entre-deux dont vous me parliez tout à l'heure.

Je vois énormement d'expositions où l'aspect en deux dimensions des photographies dicte la manière de faire : on se contente d'encadrer une photo sur un mur. Je voulais investir la galerie différemment. Comme ce projet traite d'espaces de transition, je pensais à des notions comme la démolition ou la rénovation. J'ai commencé à ajouter des murs temporaires qui laissent entrevoir des morceaux d'aluminium et de bois contreplaqué. J'ai également laissé traîner des images par terre, et j'en ai laissé certaines plaquées contre un mur – comme si elles n'attendaient que d'être accrochées.

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En gros, vous avez entreposé beaucoup d'éléments sans que l'on ne sache réellement à quoi ils servent. Qu'est-ce que vous espérez montrer ?

J'ai toujours adoré l'idée d'entreprendre quelque chose sans jamais obtenir de réponse. Ce n'est pas une carte au trésor, il n'y a pas de butin à en tirer. En tant que spectateur, vous pouvez interpréter l'histoire comme vous le souhaitez, vous pouvez lire les informations pour comprendre la relation entre Amelia Earhart et ce pont, puis en tirer votre propre conclusion. Il y a mille manières d'interpréter cette exposition.

Mais pourtant, le photojournalisme fournit souvent une réponse, ou une documentation sur un sujet précis. 

Le photojournalisme sert souvent à comprendre un conflit. Il permet de susciter le débat, mais je ne pense pas qu'il apporte nécessairement une réponse claire. Il a besoin de l'interprétation du spectateur.

C'est vrai que le spectateur doit fournir sa part du travail – vous demandez aux gens d'observer les choses de manière active.

Je trouve ça bien de mettre le spectateur au défi, d'en attendre un peu plus de lui. Mon dernier projet, Babel Tales, était un projet très « blog-friendly ». Il a beaucoup tourné parce que mon approche était un peu fantaisiste.

Avec votre projet Last Flight, on se sent presque au cœur de l'explosion. Il y a un truc qui nous fait vraiment accrocher.

Oui, c'est comme un trick hollywoodien. C'est pour cette raison que je suis fasciné par ce type d'événement. Il y a cet élément incroyablement beau, mais qui prend place à un moment où l'on ignore ce qu'il se passe. Ce moment n'a toujours pas été défini, il n'existe aucun mot pour le décrire.

Last Flight: An American Anthology sera exposé à la V1 Gallery de Copenhague du 30 juillet au 9 août 2014.

Peter Funch est un photographe danois basé à New-York. Il a étudié le photojournalisme à la Danish School of Journalism et son travail a été exposé un peu partout dans le monde.

Matthew Leifheit est le photo editor de VICE US. Suivez-le sur Twitter.