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Culture

Philippe Petit vient de sortir le meilleur film de non-skate français

Le réalisateur de Danger Dave préfère les portraits d'adultes attardés aux drames sociaux.

J'entends parler du film Danger Dave depuis très longtemps. Apparemment, sept ans, puisque c'est le temps qu'a mis Philippe Petit à peaufiner son portrait de David Martelleur, un skater belge qu'il a observé sombrer cinq années de suite. De fait, Danger Dave — sorti mercredi dernier au cinéma est autant un film de skate qu'un film de non-skate. C'est surtout le portrait mélancolique d'une ramasse comme on en connaît tous, d'un type incapable de résister à l'appel impérieux de ses fêlures – et c'est une putain de réussite.

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En faisant son film, Philippe Petit, que tout le monde connaît pour avoir été le compagnon de Flat Eric dans la pub Levis qui a propulsé la carrière de Quentin Dupieux, a failli y passer lui aussi. Mais aujourd'hui, il sort enfin le fruit de son labeur et s'apprête à tourner le portrait d'un collègue du célèbre joueur de poker Patrick Bruel.

VICE : Depuis le temps que j'entends parler de Danger Dave, j'avais fini par ne plus trop y croire. Quand je l'ai vu, sachant que tu avais tellement ramé pour le faire et surtout pour le montrer, j'ai trouvé ça désespérant que les programmateurs t'aient fait autant gamberger.
Philippe Petit : Beaucoup de festivals ont hésité, genre Belfort ou le FID à Marseille. Quand les mecs d'Arte ont vu le film, ils m'ont fait : « Sérieux, cinq ans de tournage et vous me ramenez ça ? Il est où le côté sociétal ? ». Putain, c'est exactement ce que je ne veux pas faire, le documentaire social, tout ça… J'essaye de raconter un truc, de faire découvrir quelque chose… On n'est pas là pour dire quoi que ce soit.

Extrait de Danger Dave. Photo publiée avec l'aimable autorisation de Petit Dragon

C'est ça que j'ai bien aimé. C'est un portrait de skater, mais ça n'a rien d'un film de skate.
On voit le milieu, mais ça s'arrête là. C'est un milieu que j'aime bien, que j'avais un peu abordé dans mes films précédents. Ça me correspondait pas mal, j'avais pas mal d'amis qui faisaient ça et je me suis toujours intéressé aux gens un peu en marge, aux laissés pour compte. Après ça pourrait être des mineurs, mais ça devient difficile d'éviter le côté social.

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David Martelleur, tu l'as rencontré comment ?
Je l'ai casté en quelque sorte, parce qu'à l'origine, j'avais écrit un scénario. L'histoire d'un skater qui est dans le déni de la réalité, qui a du mal à franchir le cap de l'adulescence. Et le postulat de départ, c'était de prendre des skaters pour les rôles. Quand j'ai commencé à écrire, j'ai vite eu besoin d'un ancrage dans la réalité et j'ai demandé à des potes dans le milieu  à qui je pourrais faire appel, vu la nature du projet. Ils m'ont fait une liste et j'ai rencontré quatre mecs. Le premier que j'ai rencontré, c'est Manuel Palacios, un madrilène super charismatique, mais beaucoup trop en fait. Et puis il y avait David, qu'on m'avait déjà bien vendu, qui avait déjà sa petite réputation — mais avec lui, c'était tellement limite que ça pouvait péter à tout moment.

Il y a un moment assez marrant dans le film où tu te fais pourrir par David parce que t'es pas foutu de monter sur une planche pour le suivre. C'était volontaire ou t'es vraiment une pine en skate ?
J'ai fait le con quand j'étais gamin. Je skatais en bas de chez moi dans l'immeuble, donc non, j'aurais pu m'en sortir. D'ailleurs y a des traveling embarqués sur la fin, et là, je skate. Il fallait quand même quelques beaux mouvements à un moment. C'est comme les images d'archives. Je ne voulais pas en mettre au début, mais c'est devenu une obligation : il fallait bien que je montre que ce type avait été bon à un moment.

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Il s'est passé quoi entre le moment où on voit vraiment David sombrer comme le dernier des clochards en Europe et le moment où tu l'as retrouvé aux États-Unis ? Il s'est remis en selle tout seul ou tu l'as un peu aidé ?
Il faut comprendre un truc, c'est que le film est vachement écrit. La réalité est beaucoup moins crue qu'il n'y paraît. J'ai accentué le truc.

Au montage ou au tournage ?
Les deux. Quand il disparaît dans la forêt, je voulais qu'il devienne une figure, c'était clairement Into the Wild. J'ai pas vu le film, mais je vois bien un truc comme ça. Il était beaucoup plus entouré qu'on le voit, et il était pas si paumé que ça.

Même dans la fête toute trash au milieu du film ?
Ah non, ça c'était vrai. On a passé trois jours de fêtes dans un hangar à Hossegor. C'était après un contest où y avait tout le monde, même Elzo Durt, le mec qui a fait l'affiche du film, qui bosse pour Born Bad. C'est lui qui a fait les visuels de Frustration, Cheveu, La Femme. Il y avait toute cette bande là et c'était un moment de perdition totale. J'ai même dû me défoncer la gueule, sinon je n'aurais jamais tenu. Mais les fêtes ça faisait mal. C'est à cause de ça que je me suis retrouvé à tourner tout seul comme un con, après la première fête à Bruxelles, mon ingé son m'a lâché, il était furax.

C'est aussi comme ça que tu t'es retrouvé à tourner cette première séquence ? Je l'ai trouvée un peu gênante.
Là c'était un vrai bug. Je voulais vraiment me casser, j'en avais vraiment plein le cul. Mon assistant et David ont fini par se foutre sur la gueule un peu plus tard. Je l'ai gardée parce que je l'aimais pas. Ou plutôt, je m'aimais pas. Je passe vraiment pour un connard dedans, mais bon, au moins c'est dit dès le début, ça crée un postulat. On n'était pas là pour cacher qui on était. Eh ouais, je suis un connard, bon ben voilà, maintenant vous pouvez le découvrir dans le film.

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On te connaît en tant qu'acteur grâce à la pub Levis de Quentin Dupieux notamment. Comment t'es passé à la réalisation ?
En fait je suis réalisateur à la base. C'est en réalisant des trucs que j'ai commencé à passer devant la caméra et ça m'a bien plu. C'est en finissant mes études à Bruxelles que j'ai commencé à jouer avec Quentin. On a fait plein de trucs ensemble et c'est lui qui m'a tout appris. Jouer, ça me permettait de faire mes films à côté.

Et tu bosses sur un nouveau truc, là ?
J'ai fini un moyen-métrage. C'est un auto-film où je me filme moi-même.

Tu fais ton Alain Cavalier, quoi…                    
Ouais, enfin là c'est plus une comédie… Et je pars bientôt à Las Vegas pour faire le portrait d'un joueur professionnel qui m'a commandé un truc sur une fin de carrière. C'est sur Ludovic Lacay, un mec de Winamax qui fait partie de la bande à Bruel. Je fais comme les peintres de la renaissance, c'est cool d'avoir un commanditaire.

Danger Dave, tu le foutrais sur l'étagère DVD d'un skateshop ?
Je le foutrais partout ce film ! J'espère qu'il sera partout, tiens ! J'aurais aucun scrupule à le foutre dans un sex shop. Je veux que tout le monde le voie. La meilleure critique qu'on m'a faite sur le film, c'était de la part d'un mec sur le tournage. Pendant la scène de fête, il m'a dit : « Ton film, ça pourrait faire un super film ! » C'est parfaitement résumé. Danger Dave, c'est exactement ça, un film qui pourrait faire un bête de film. Voilà. Sept ans de travail pour faire un film qui pourrait faire un putain de film. Ça me convient.